Rommor Ep19

Trente ans c’est un peu jeune pour se dire qu’il est trop tard, mais trente ans c’est aussi un peu vieux pour éprouver une première fois un regret sincère.

Au Général Lord Lorn Irrin Cabb, Conétable de la Garde Royale, Grand Croix de l’Ordre de la Nebuleuse, MHR, MMM, EC.

Monsieur,

Je rêvais autrefois d’un bâtiment fier et puissant, si grand que son escadre aurait semblé n’être que l’ombre de sa majesté. Je rêvais mon père de partir au combat dans le feu et la fureur, de mourir dignement à la barre avec la certitude du devoir accompli. Je rêvais que vous fûtes fier de moi, juste une fois.
Mais je vous ais failli… Sans regret cependant car votre Empereur nous a trahis mes frères d’armes et moi, et pire vous, mon père m’avez trahi pour lui. J’ai longtemps cherché le courage de vous dire ces mots, le courage d’espérer un jour pouvoir vous pardonner.

Mon rêve n’est plus celui de marcher dans vos pas, je ne pourrai pas grandir dans votre ombre ni dans celle de Mère, mon rêve est d’être celui que vous n’avez jamais été. Un homme heureux, présent pour ses enfants et qui ne fera jamais fuir la femme qu’il aime, trouvez-vous cela dur? Attendez donc la suite. Aucun Empire, aucun rêve de gloire  ne viendra jamais me détourner de ce qui fait la vraie fortune des hommes de bien. Mon ambition n’est pas de survivre dans les manuels d’histoire, je veux juste survivre dans le cœur des gens que j’aurai aimé.

Pour vous j’ai goûté à la guerre, à la mort comme à la déchéance et je n’ai de goût pour aucune d’entre elles. Mais lorsque je n’étais plus rien ni personne, que mon nom et mon visage m’avaient été arrachés, mon honneur et ma conscience souillés… A cet instant où je n’avais plus rien d’autre que mon cœur à offrir j’ai trouvé ma rédemption. Aujourd’hui mes rêves vont là où portent ses yeux, vers le lointain et l’avenir. Elle m’a offert une vie nouvelle, elle m’a rendu l’espoir.

Mon espoir appelle la mort, qu’elle vienne saisir ce sinistre vieillard, qu’il parte dans un cri étranglé de terreur et s’écroule de son trône dans l’ignominie. Alors seulement l’Empire en lequel j’ai voulu croire pourra t’il exister, mais ce n’est qu’une illusion car nul homme ne convient, aucun n’est assez grand ni assez vertueux pour ce trône-là.

Le conflit actuel n’est qu’une guerre parmi tant d’autres, son issue m’indiffère et je ne me prête plus à vos jeux que contraint et forcé… Mais j’ai la résolution de ceux de notre sang, peut-être est-elle même supérieure à la vôtre car je m’affranchirai de l’influence de l’Empereur, je couperai à jamais ces fils et c’est en homme libre que j’accomplirai ma destinée. Je rentrerai chez nous, ma femme et nos enfants porteront le nom des Cabb et peu importe alors que ce soient vos idéaux ou ceux de Mère qui aient prévalus.

Je suis triste que nos chemins aient tant divergés, j’aurai aimé vous connaître. Mais je ne vous laisserai pas partir sans un adieu mon père et quand viendra la fin je serai là. J’espère qu’alors que vous ferrez face à ce terrible ennemi que personne ne peut vaincre, vous comprendrez que cette petite main qui serre si fortement la vôtre est celle de votre fils et qu’il vous aura aimé toute sa vie.

Puisse cet instant arriver le plus tard possible monsieur, je vous salue.

Rommor Irius Cabb.

J’ai considéré  un instant ce morceau de papier épais et ouvragé recouvert du sceau familial, puis je l’ai jeté dans la fournaise qui consumait le corps de mon père. J’aurais voulu pleurer mais mes yeux étaient secs, j’aurait voulu hurler mais tout son mourrait dans ma gorge serrée. J’avais écrit cette lettre quatre ans auparavant et je n’ai jamais su dire à mon père que je l’aimais.  A présent il était mort, je me suis tenu droit et j’ai attendu en espérant que ce vide dans ma poitrine disparaitrai un jour…

J’avais trente ans.

Créé le samedi 2 juin 2007 à 23h50 par Guinch & mis à jour le mercredi 20 mars 2013 à 14h06