Rommor Ep21

C’était un bel après-midi d’automne, le feu ronflait dans la grand salon du manoir Cabb et la famille coulait quelques jours paisible à la découverte de son nouveau foyer. Moira avec son habituel enthousiasme voulait donner une nouvelle vie au manoir, de son côté Rommor essayait de tempérer son enthousiasme et surtout ses projets les plus extravagants de décoration, le manoir devait conserver son âme.

«Papa, c’est quoi cette porte?»

Deseanne se tenait au fond du petit salon, celui où trônait au mur le pistolet de duel ayant mis fin à la vie du quatorzième Lord Cabb de la propre main de son frère. Rommor regarda la porte en question et se souvint que Père n’y accueillait jamais personne, c’était son bureau… Empoignant la clé de fer qu’il gardait dans sa poche depuis bientôt une semaine il prit une inspiration et tenta de se détendre.

«Je ne sais pas mon cœur, peut-être que nous devrions aller voir, qu’est-ce que tu en penses?»

D’un signe de tête volontaire et sa petite frimousse essayant d’adopter un air dur semblable à celui de sa grand-mère, Deseanne l’aventurière prit la main de son père. Rommor ressentit avec gratitude le contact de sa fille, elle lui donnait la force d’affronter sa peur, il glissa doucement la clé hors de la poche de son gilet et l’enfonça dans la serrure, laquelle tourna sans accroc.

Rommor resta interdit sur le seuil alors que Deseanne s’emparait de la pièce en courrant, le bureau était immense! De chaque côté les murs n’étaient que bibliothèque sur deux étages, une cheminée éteinte faisait face à une large étude en bois polie sur laquelle s’amoncelaient de nombreux documents à l’air visiblement anciens. La seule source de lumière provenait de vitraux disposés en hauteur et les rayons en provenant coloraient la poussière suspendue dans l’air.

«Des livres…Des milliers de livres.»

Alors que la petite fille se jetait dans le grand fauteuil derrière le bureau, Rommor parcourait du regard les ouvrages à sa droite.

«Des ouvrages originaux, interdits… Tous ces livres et cristaux de données auraient du brûler à l’époque des purges, c’est incroyable.»

«Qu’est-ce que tu dis papa?»

«Je dis que tu as découvert un trésor Deseanne Kyra Cabb, un trésor qui un jour sera le tiens.»

Rommor rejoint sa fille et la soulevant s’assit pour la prendre sur ses genoux, devant elle dans le seul espace dégagé de cet étrange fouillis de scribe, qui ressemblait si peu à feu le quinzième seigneur Cabb, un grand tome verrouillé par un scanner ADN… Une note manuscrite y était accrochée.

«A la veille de la défaite je ne ressens ni peur ni tristesse, je n’ai qu’un seul regret: j’aurai voulu vaincre au lieu d’être vaincu.»

Prenant délicatement le bout de papier lourd et épais, Rommor toucha le fermoir qui l’identifia avant de déverrouiller l’ouverture du livre. Avec appréhension il se demanda s’il devait montrer tout cela à sa fille, mais s’il commençait à lui cacher des choses il finirait par commettre les mêmes erreurs que son père.

«Tu veux me faire la lecture ma chérie?»

Et la petite fille assit sa position sur les genoux de son père, d’une voix claire et essayant d’être aussi distinguée que possible elle entama sa lecture avec un charmant sérieux.

Le journal d’un officier est sa seule défense face à l’histoire, ceci est mon journal.

J’ai pour nom Lorn Irrin Cabb, je suis le deuxième fils en premières noces du treizième seigneur Cabb, ma mère est morte en couche et mon père est tombé au champ d’honneur lors de la bataille du défilé de Cadras sur Xanathu.
J’ai été élevé par monsieur mon aïeul paternel, douzième seigneur de Cabb à qui le titre fut ravi ainsi que l’œil droit par combat rituel à la vibro-lame ; gentilhomme pragmatique quoi qu’un peu brut, j’estime qu’il a fait de moi un homme accompli.
J’ai eu une enfance heureuse, mes distractions principales étant la chasse, l’escrime, les holo-échecs divoriens, la musique, le chant et bien sûr la littérature classique.
Ma scolarité fut publique comme il sied à un bon républicain, j’intégrais les classes préparatoires à l’école de guerre de Chandrila, j’y fit une assez bel essai sur "la diversité du concept d’infanterie dans les grandes civilisations galactiques" puis pus accéder à l’école de guerre.
J’ai passé trois ans dans cette honorable institution, me suis spécialisé en psychologie appliquée aux situations conflictuelles et ai enfin reçu ma première commission au sein des FDP Chandrila.

C’est ici que commence véritablement ce journal, mon premier commandement fut dans la garde montée des forces de défense planétaires de Chandrila, cinquième compagnie, j’avais sous mes ordres une trentaine d’hommes dont vingt cavaliers et huit servants d’artillerie légère. J’étais un jeune sous-lieutenant plein d’idées folles, la réalité me rattrapa heureusement assez vite pour m’éviter plus de déconvenues qu’il ne faut.
Mais il faut se situer le contexte, les batailles de la république d’alors se déroulaient souvent dans l’espace ; seuls les émissaires de l’ordre Jedi et quelque corelliens voyaient donc le feu, les conflits locaux se résolvaient assez vite. Pour ces raisons et d’autres, les dirigeants de l’époque étaient assez modérés et ne prêtaient l’oreille qu’à leur électorat pour assurer leur carrière plus que leur charge en tant que leaders.
Sur Chandrila, le parti conservateur tenait le siège sénatorial depuis à peu près quatre siècles ; le parti rassemblait les nobles propriétaires terriens et au moment où j’accédais à ma charge d’officier des FDP, son porte-parole et prochain sénateur en titre était le quatorzième seigneur Cabb, monsieur mon frère aîné.
Chandrila a toujours été une planète "verte", j’entends par-là que son industrie est assez peu développée en dehors d’une agriculture florissante et de quelques produits dits "de luxe". La situation a commencé à changer suite à une crise du transport spatial, la taxation des grandes routes commerciales ayant provoqué un tollé chez les compagnies de fret ; tout d’un coup les coopératives seigneuriales n’avaient plus de débouché pour leur production, les agriculteurs et autres paysans se retrouvèrent au chômage technique. Mais l’étincelle jaillit d’un tout autre milieu : les étudiants.
La chambre des lords pensait que la tension retomberait d’elle-même, monsieur mon frère espérait que la situation perdurerait pour miner ainsi la position du sénateur de Chandrila et lui tailler un boulevard vers l’investiture ; mais force fut de constater que les manifestations ralliaient de plus en plus de participants et qu’elles commençaient à devenir dangereusement médiatisées sur le plan galactique.

Un matin les ordres tombèrent, ma compagnie fut mobilisée pour participer à un dispositif de protection civile dans la ville de Candril, notre capitale. Nous prîmes position sur une colline surplombant le campus de Candril, très franchement je n’attendais de cette mission qu’une journée d’ennui, il n’en fût rien.
Tout était calme, les patrouilles de deux cavaliers déployées dans le campus ne rencontrèrent aucun problème aussi le reste de l’unité put mettre pied à terre sur notre position ; cependant sur le coup de onze heures du matin, heure locale on me signala une foule compacte en approche par l’entrée principale, immédiatement nos éclaireurs furent pris à partie par les manifestants, je leur ordonnais de se replier sur notre position principale et je faisais monter en selle tous mes hommes.
J’ai choisi pour la confrontation d’utiliser les bâtiments de l’allée centrale pour canaliser la foule et nous éviter l’encerclement, je n’ai pas fait dans le dramatique, seulement ordonné au haut-parleur la dispersion des manifestants selon l’ordre d’urgence du gouverneur visé par le maire et le censeur de l’université de Candril.
Autant vous dire que nous avions des canons soniques, des grenades neutralisantes et des électro-matraques… Et franchement nous les aurions utilisées sans remords mais les ordres furent clairs : interdiction formelle d’engager un affrontement, je fis vérifier deux fois au près du PC de la compagnie et on me rapporta à chaque fois la même réponse.
La loi, ses représentants et la république tout entière firent donc volte-face ce jour-là sous les quolibets d’une bande d’enfants gâtés ; mais les ordres sont les ordres… Au moment de nous retirer, je restais dernier de colonne pour assumer ma charge et défendre l’honneur de notre compagnie, un des meneurs étudiants tenta de prendre les rennes de ma monture, je lui assénais un coup de matraque qui lui brisa la main et tînt en respect le reste de sa bande.

L’holo-enregistrement fut passé et repassé en boucle sur les réseaux locaux, frère du Lord Protecteur de Chandrila j’évitais la cour martiale mais reçus tout de même un blâme et six jours de mise à pied sans solde. Durant mon exil au domaine pour éviter les journalistes, monsieur mon frère eu l’obligeance de m’exposer les raisons de cette mascarade. La grande bringue à qui j’avais cassé la main n’était autre que la fille unique du Lord maire de Candril, une étudiante en droit passablement agitée du nom de Mon.

Je suis homme capable de me plier à la raison d’état, ors s’il était dans l’intérêt du Lord Protecteur de Chandrila de s’assurer le soutient du Lord maire de Candril pour la prochaine élection sénatoriale, je ne voyais néanmoins pas vraiment comment cela servait la république. J’ai donc fait ce qu’un gentilhomme doit faire, j’ai arraché mes épaulettes, les ai jetées aux pieds de mon colonel et posé mon sabre sur son bureau, pointe vers lui, j’ai claqué des talons, me suis incliné et lui ai poliment annoncé :

«Monsieur, je ne vous salue pas.»

C’est ainsi que s’est achevée ma très courte carrière dans les FDP Chandrila, je n’étais pas taillé pour jouer les gardiens de parc pour enfants de riches. Libéré de mes devoirs envers l’armée, je suis ensuite aller m’expliquer à la personne qui m’avait calomnié publiquement, la porte de la résidence du Lord maire Mothma m’étant fermée, je suis allé trouver l’agitatrice sur son terrain. Je me souviens très exactement de mes mots alors que j’ignorais totalement la présence de ses acolytes:

«Vous militez pour une société égalitaire ? Contentez-vous de votre victoire, vous avez eu ce pour quoi vous vous battiez… Prolétaire ou fille de Lord je vous aurai rossée de la même façon. Pour ma part je vous soutiens dans cette opinion, je refuse de servir dans une armée qui m’ordonne ne pas défendre la loi sous prétexte qu’une des personnes en infraction se trouve être la fille du maire de Candril.»

La chose s’est passée rapidement, elle voulait me répondre et s’assurer de son autorité sur l’auditoire mais j’ai lu un court moment d’hésitation dans ses yeux, elle devait me croire fou. Et là, je ne sais pas pourquoi, mais vraiment pas du tout, je l’ai invitée à prendre un café… Je devais réellement être fou semble-t-il.

Rétrospectivement il me serait difficile de vous expliquer pourquoi cette jeune femme de trois ans ma cadette m’a subjugué, peut-être simplement le fait qu’elle ait le courage de ses convictions. A partir de cet instant j’ai vraiment oublié mes manières, j’ai agi comme un Huron affamé ; le soir même elle me faisait les honneurs de son lit. J’ai laissé pousser ma barbe, ai assisté à tous les meetings et réunions dans les caves quoi que je gardais le silence ou sortais en prétextant de vouloir fumer à chaque fois que l’envie me prenait d’étrangler quelqu’un. J’ai vécu cette vie de spectateur quelques temps, un jour une bande d’agités est venue me demander conseil pour des «actions radicales» ; j’ai fait mon devoir, suis allé les dénoncer en bonne et due forme aux services de sécurité. Mon a pris de la distance, j’ai quelques temps considéré la possibilité d’en finir avec la vie ou d’aller m’engager dans un corps mercenaire aux confins de la galaxie.

La deuxième option m’a néanmoins semblé préférable. J’ai roulé ma bosse, travaillé comme docker, embarqué à bord de cargos, je me suis battu dans des bars enfumés et obscurs ; j’ai touché de l’argent et des filles sales et un jour j’ai posé le pied sur Ailon.
J’ai passé l’entretient décisif pour intégrer la Garde Nova lors d’une rixe dans un bar dont le nom m’a échappé, j’ai collé trois gardes au tapis avant de me retrouver dans une situation très inconfortable, une chaise en main face à six adversaires dont un avec un tesson de bouteille et il était le moins bien armé des six. Le capitaine Ragnar, présent dans le bar, a voulu savoir qui était ce type qui allait mourir et je le lui ai dit. Les Nova ont combattu à Xanathu et Ragnar avait connu mon père, je me suis fait arroser comme jamais ce soir-là ! Le lendemain je me suis réveillé avec la gueule de bois dans la soute d’un transporteur antigrav en direction d’un camp d’entraînement au milieu de nulle part, dans ma poche des papiers m’ayant naturalisé citoyen d’Ailon.

J’ai passé six ans dans la Garde Nova, six ans exaltants et sans contraintes à voyager de poudrière en charnier ; j’y ais appris les vérités de la guerre, y ais en quelque sorte perdu mon pucelage alors que le mythe du héros s’effondrait. Ragnar est mort au cours de la troisième année, manque de chance : une lanière de casque qui lâche, shrapnel de mortier, sa cervelle a recouvert le pauvre gars qui lui servait d’opérateur des communications.

Ainsi, mercenaire sans patrie ni idéal j’allais sans le savoir enfin trouver la cause qui transcenderai mon existence.

«Alors vous deux, on fait bande à part?»

Rommor referma le manuscrit puis soulevant doucement Deseanna, la posa au sol.

«Va embrasser ta mère.»

La petite fille courut se jeter dans les bras de sa mère pendant que Rommor fermait précautionneusement le livre en ayant marqué la page avec le petit mot de son père.

«Nous reprendrons une autre fois Deseanna, et… N’oublies pas que c’est un trésor, tu dois le garder précieusement et n’en parler à personne.»

La petite fille hocha la tête farouchement et eu ce geste qui irritiait tellement sa mère, elle fit mine de se cogner la poitrine au niveau du coeur avec son petit poing, le salut utlisé par les troupes de choc et les commandos impériaux qu'elle imitait comme un petit soldat. Moira dévisagea son époux, un peu inquiète, mais l’air relativement serein de ce dernier la rassura ; il n’avait pas eu l’air aussi détendu depuis les funérailles de son père et elle souffrait en silence de ne pas pouvoir activement soulager son cœur.

Mais tu es tellement imprévisible quand on en vient à ta famille, si bien que je dois surveiller tout ce que je te dis à ce sujet… Si tu savais.

Moira sourit aussi légèrement que possible à Rommor en lui envoyant un baiser, elle repensa à la brève entrevue qu’elle avait eu avec le père de l’homme qu’elle aimait et se demanda qu’elle serait sa réaction si il apprenait ce qu’elle avait fait pour tenter de les réconcilier avant qu’il ne soit trop tard.

Mais elle ne se doutait pas qu’à l’intérieur de ce gros livre tout un passage lui était dévolu et que Rommor n’allait pas tarder à y être exposé… Pour le meilleur comme pour le pire.

Créé le samedi 2 juin 2007 à 23h54 par Guinch & mis à jour le samedi 2 juin 2007 à 23h56