Rommor Ep38

Cachant un bâillement du dos de la main, Rommor regarda le soleil déjà haut dans le ciel  et se rabattit sur une autre tasse de café. Le voyage jusqu’à l’académie avait été interminable, il aimait bien cet endroit mais doutait de la pertinence de ce qu’il venait y accomplir officiellement. Porter lui tendit sa casquette.

«C’est à vous monsieur.»

Il se leva avec son bloc de données à la main et passa la porte menant à l’estrade de la salle de conférence, l’amphithéâtre était plein de gens en uniformes, des cadets mais aussi des officiers généraux de la flotte, un uniforme blanc se détachait d’ailleurs au premier rang… Finalement, le déplacement allait peut-être s’avérer rentable.

«Bonjour à tous et à toutes.»

Une gorgée d’eau, allumer le bloc de données, vérifier le micro.

«A notre époque, tout officier détenant une prérogative décisionnelle, ne peut être apolitique…»

Les mots coulaient, l’intonation jouait comme un instrument de musique, changeant de rythme, mettant des mots en exergue, adoucissant les passages délicats. L’audience était réceptive, malgré certains points divergeant de la ligne du parti, les visages ne marquaient pas de mécontentement ou de désaveu.

«… Le théâtre des opérations comporte toujours un contexte tactique comme un contexte politique, la stratégie d’aujourd’hui doit être globale ; voilà pourquoi le devoir d’un officier naval, et dans un sens plus large de tout personnel militaire, est inséparable d’une conscience citoyenne.»

Et tout ça n’était pas faux, du moins n’aurait pas du l’être dans une marine moderne et détachée d’un organe de contrôle politique comme le COMPORN… Peut-être que cette belle marine rêvée par tous ces gosses au fond de la salle allait renaître de ses cendres un jour prochain, peut-être qu’avec du temps les gens ne cracheraient plus sur l’uniforme de LEURS soldats ; mais avant cela, il faudrait encore des sacrifices, et la mort du monstre : un symbole.

«Je vous remercie de votre attention, je vous souhaite bon vent et espère avoir le privilège de servir à vos côtés très bientôt.»

La salle applaudit et Rommor se prépara à descendre de l’estrade, mais un geste du vice-amiral Mordak, le pacha de l’académie, le fixa sur place ; l’homme monta le rejoindre prestement et s’installa devant le micro.

«Merci capitaine Cabb, néanmoins, avant que nous ne vous jetions en pâture à nos cadets et leur foule de questions, j’ai une annonce à faire. Je ne pensais pas qu’un jour, un des étudiants à qui j’ai enseigné l’histoire navale, se serve de mes cours pour décider d’éperonner un autre bâtiment au combat. Si bien qu’aujourd’hui notre collège tactique débat encore du bien fondé de cette décision, et je pense que les jeunes gens ici présents ne vous remercieront pas d’avoir ainsi ajouté un écueil pareil à leur cursus.»

La salle partit d’un rire plus détendu, Rommor arriva à forcer un sourire en pensant à l’épave du Glaive, aux nombreux sacs jaunes, à l’agonie des mourants.

«Mais nous vous pardonnons cette surcharge de travail pour nous autres planqués ; la preuve étant que l’amirauté m’a mandatée pour vous remettre, à vous ainsi qu’à tout l’équipage du croiseur d’intervention Glaive, l’ordre de la nébuleuse, distinction décernée pour bravoure au combat.»

Cette fois-ci, Rommor sentit ses jambes céder sous lui, il dut faire un effort pour que l’angoisse ne le fauche pas devant tout le monde, mais son teint devînt blafard et la bile lui brûla la gorge. Il inspira par le nez profondément, et se recomposa dans un garde à vous roide. Laissant le vice-amiral épingler le ruban et son pendant ouvragé sur sa poitrine, il le salua avant de lui serrer la main.

«Merci. »

Il ne pouvait rien dire de plus, il ne pouvait pas s’excuser auprès des gens qu’il avait tués, mieux valait attendre que ça passe. Les deux officiers descendirent de l’estrade pour aller saluer les personnalités du premier rang.

Mona Gillis se tenait un pas en arrière de son officier commandant, elle arborait elle aussi l’ordre de la nébuleuse, qui soit dit en passant, faisait meilleur impression sur elle, que sur Rommor. Le grand amiral Zaarin était un homme aux cheveux poivre et sel, une carrure d’athlète, et un faux air de dandy ; il émanait de lui un charisme certain, il mettait de la conviction dans tous ses mots, regards et poignées de main.

«Nous nous rencontrons enfin ! Je suis votre carrière avec intérêt depuis déjà longtemps capitaine, et je vous remercie d’avoir attiré mon attention sur le capitaine Gillis, elle a tenu toutes vos promesses.»

Rommor sourit, le sang se distribuant à nouveau normalement dans son corps, puis il s’empara vivement d’une des flûtes de foudre que les stewards apportaient sur leurs plateaux en duraminium.

«Merci monsieur, le capitaine Gillis et moi partageons nos convictions sur le devoir d’un officier spatial depuis l’académie, il était difficile de ne pas lui rendre justice dans ma lettre de recommandation... Au fait, les cigares vous ont-ils plu ? Un très bon cru, un peu exotique mais intéressant.»

L’étincelle dans le regard du grand amiral confirma à Rommor qu’il avait bien reçu son présent.

«Oui, je dois admettre qu’ils m’ont beaucoup surpris… Mais ravis aussi. Vous avez du découvrir bien des raretés telles que celles-ci durant votre temps aux renseignements.»

Le jeu était tendu, mais le lien avait été établi sans doute possible pour les deux parties.

«Croyez-moi, c’était bien moins glamour que ce qui se raconte, surtout un travail d’analyste risque sur le commerce spatial légal et alternatif… Mais les saisies chez les contrebandiers se révèlent souvent intéressantes.»

La conversation continua sur un ton plaisant, puis le grand amiral dut s’éclipser et comme promis, Rommor fut jeté en pâture aux nombreuses questions des cadets de l’académie.

«Monsieur! Monsieur!»

La silhouette sautait derrière les premiers rangs, se frayant un passage de façon peu courtoise pour approcher du capitaine, Rommor fut surpris de reconnaître le spécialiste des communications Torjul. Le jeune homme s’arrêta puis salua avec un air terriblement sérieux son supérieur, au bout d’un moment, la surprise passée, Rommor le renvoya au repos en répondant.

«Et bien, félicitations monsieur Torjul, je ne savais pas que vous aviez passé le concours d’entrée de l’académie.»

D’un hochement de tête toujours aussi décidé, le cadet confirma.

«Les matières générales me demandent des efforts, mais sur la technique j’ai de la bouteille monsieur!»

«Je n’en doute pas, quoi que dans mon souvenir vous manquiez un peu d’initiative.»

La remarque refroidit visiblement l’ardeur de Torjul, mais il se reprit.

«C’est par ce que je n’avais jamais été au combat monsieur, mais après le Vigilance… Et surtout Kathol, j’ai réalisé qu’il en allait de la vie de tous. Quand le colonel Kern m’a montré que vous étiez celui qui nous a sortis du bourbier, j’ai…»

Rommor fit un visage plus dur et arrêta le débit de paroles de Torjul.

«Cette histoire est confidentielle, n’allez pas crier ça sur les toits.»

Torjul s’illumina comme un panneau de contre-mesures électroniques, flatté d’être dans la confidence, d’appartenir au cercle des vétérans du Vigilance.

«A vos ordres monsieur!»

Rommor ne put s’empêcher d’émettre un petit rire devant tant de ferveur, puis il saisit deux autres flûtes et en présenta une à son subordonné… Finalement c’était une bonne chose qu’il ait croisé ce maladroit, il avait un effet positif sur son moral.

«Tenez, buvez un coup, ça vous tiendra au silence au moins un moment.»

Autant essayer d’arrêter un Juggernaut lancé dans sa course.

«Merci monsieur ! Le capitaine me ferait-il une faveur ? Je souhaiterai rejoindre le service du capitaine après ma promotion, si il pouvait produire une lettre de recommandation…»

Rommor haussa les épaules, l’air vaincu.

«Voyez ça avec mon intendant, le maître d’équipage Porter. Mais ne vous faites pas d’illusions, pour l’instant nous ne sommes pas prêts de reprendre l’espace ; même si l’amirauté semble avoir cédé face aux pressions du COMPORN, je doute qu’ils aient un vaisseau à me confier de bon cœur. Vous ne rendrez pas service à votre carrière monsieur Torjul.»

Le jeune homme avala sa boisson puis secoua la tête vivement.

«Si je peux me permettre monsieur, tous les gens ayant servi sous les ordres du capitaine en ont profité, le major Kern a obtenu une promotion, j’ai pu intégrer l’académie, la capitaine Gillis est devenu le secrétaire d’état-major d’un grand amiral…»

Rommor l’interrompit, un peu agacé.

«Et tous les autres son morts, si vous avez la chance de survivre aux charniers dans lesquels on nous envoie d’habitude, ce n’est pas cher payé qu’une promotion ou une distinction quelconque.»

Torjul nota, l’air grave, il avait dégusté aux mains des corsaires rouges de Kathol, et aussi durant la bataille au large de Bilbringi contre la soi-disant « insignifiante » flotte rebelle. Il était un des rares cadets à pouvoir placarder sur son uniforme deux rubans de campagne et surtout celui de l’ordre du mérite, sa familiarité avec le héros du jour semblait d’ailleurs faire forte impression sur ses camarades.

Le communicateur de Rommor sonna, un message de Mona Gillis, elle voulait le voir au gymnase de l’académie. Il s’excusa et laissa Torjul profiter de ses quinze minutes de gloire.

Le gymnase était animé à cette heure-ci, une garantie contre les écoutes vu le brouhaha ambiant, Mona semblait encore plus coincée que d’habitude, Rommor savait deviner la colère chez quelqu’un et elle avait le meurtre dans le regard.

«Je pensais que tu étais partie avec le grand amiral.»

«Non, je dois te faire une commission de sa part.»

Ils marchaient et passèrent derrière les gradins, dès qu’ils furent hors de vue, Mona empoigna Rommor par le col et le cogna contre un des poteaux soutenant l’ensemble.

«Tu m’as foutue dans la merde!»

Rommor resta impassible, Mona était consciente que la menace physique était absolument déplacée, elle avait juste besoin de se défouler.

«C’est vrai, tu es raisonnable, tu n’y serai sûrement pas allée de ton plein gré, mais maintenant que tu y es, as-tu vraiment quelque chose contre ce qui se prépare?»

Elle fulmina mais relâcha doucement la pression, son bras artificiel refusa d’obtempérer immédiatement, les nerfs synthétiques avaient du être légèrement saturés par la montée d’adrénaline de Mona.

«Non, pas après tout ce que j’ai vu à Ploorius.»

Rommor défroissa son uniforme, gardant un ton neutre.

«Armando Vassard était un homme bien, mais il était plus que ça pour toi, n’est-ce pas ? J’ai vu ton attitude quand tu es entré dans ma cabine à bord du Glaive, c’était sa cabine.»

Mona était une chic fille, à la dure, peut-être moins énergique que Sasha, mais elle portait son cœur sur son visage… Vador devait être aveugle aux êtres humains normaux autour de lui, pour en pas avoir saisi le hurlement qui avait résonné en elle à la mort de son capitaine, son ami, et son amant.

La fureur la rendait blême, et de grosses larmes se mirent à remplir ses yeux… Rommor soupira et ouvrit les bras, elle hésita mais il l’attira de force sur son épaule.

«Vas-y, pleure… Il faut que tes yeux soient secs pour l’heure de notre vengeance.»

Ils en avaient fait du chemin depuis l’époque où ils s’étaient connus dans ce gymnase, Rommor se sentit tout à coup très triste d’avoir perdu tant d’illusions et d’amis en cours de route.

«Il faut que quelqu’un le fasse, et quel que soit le prix à payer, c’est à nous de le faire. Dis à Zaarin de se tenir prêt, je vous donnerai toutes les informations nécessaires le moment venu.»

Et le moment viendrait bientôt pour les fils et filles de l’Empereur, celui de dévorer leur géniteur.

Vous vouliez faire de nous des monstres, goûtez donc toute l’ampleur de votre réussite.

Créé le dimanche 3 juin 2007 à 0h45 par Guinch & mis à jour le mercredi 20 mars 2013 à 14h06