Rommor Ep43

Le taxi disparaissait déjà au dessus des eaux limpides de la baie ; alors que le vent faisait lentement onduler les palmiers de la plage, les Peko-Peko traversaient le ciel d’azur, battant à peine de leurs larges ailes et déployant leur longue traîne comme pour la parade. La maison, avec ses briques de couleur chaude savamment agencées, avait cet air un peu cossu et tellement typique de Naboo ; plantée dans son décor de carte postale, elle était comme la déclaration de l’idéal de bonheur que recherchaient les deux jeunes amoureux quand ils s’étaient installés là des années auparavant.

S’arrachant à cette contemplation, Rommor franchit les derniers mètres qui le séparaient du perron ; il aurait pu entrer directement mais préféra sonner, son couple avec Moira n’avait pas traversé ses épisodes tumultueux en s’enfermant dans les habitudes, si disputes il pouvait y avoir, le double d’attentions venaient toujours les effacer. Cela dit, et pour leur bonheur, les disputes s’étaient raréfiées au fil du temps ; comme des instruments de musique, ils avaient fini par s’accorder… Et quel accord ! Deux merveilleux enfants.

S’appuyant contre la monture de la porte, Rommor la regarda s’ouvrir pour admirer son épouse souriante et bronzée ; ils restèrent chacun de leur côté du seuil, prenant le temps d’effacer l’image mentale qui les avait accompagnés ces deux dernières semaines de séparation, par la présence bien réelle de l’autre.

_ Bonjour m’dame.

_ Bonjour, vous.

Rommor produisit lentement le bouquet de fleurs qu’il avait placé dans son dos.

_ J’ai une livraison pour un certaine madame Darksun-Cabb.

_ C’est moi.

_ Il y a une holo-carte avec.

_ Ah, et que dit-elle ?

_ Ca dit : « C’est bien moi qui ait fini la gelée de baies en partant il y a quinze jours, pardonne-moi, ne me fais pas dormir sur le canapé je t’en prie. »

Elle fit la moue puis secoua la tête comme pour montrer sa désapprobation à un enfant turbulent.

_ Tu es bête.

_ Eh, c’est moi. Si je n’étais pas un tantinet stupide, je ne ferai pas ce métier.

_ Heureuse de te l’entendre dire, maintenant entre vite et viens m’embrasser.

_ A vos ordres madame !

Il déposa le bouquet de fleurs sur la table d’entrée puis saisit sa petite femme par la taille, l’attirant contre lui pour l’embrasser ; la première chose qui frappa Rommor, c’est combien l’odeur et les yeux pétillants de Moira lui avaient manqués ; puis bien sûr, il pensa aux enfants.

_ Où sont nos petits monstres ?

_ A la sieste, il est bientôt quinze heures.

_ Il va falloir que je réalise, je suis levé depuis un peu plus d’une heure à peine, et dans l’espace il faisait nuit.

_ Je te cueille au saut du lit en quelque sorte ?

_ On peut dire ça, oui… Dis moi, est-ce qu’il reste un petit quelque chose dans le four pour un mari affamé ?

_ Trésor, tu ne dois pas encore être très bien réveillé ; je viens de te dire que les enfants sont à la sieste et tu me réclames à manger ? On dirait que je ne t’ai pas beaucoup manquée. Tu sais que tu risques bien de finir sur le canapé à ce rythme-là ?

Rommor se frappa le front, l’air désolé.

_ Oui, oui… Les enfants sont à la sieste ! Au temps pour moi.

Il leva l’index, l’air concentré ; comme pour dire à Moira de patienter un instant ; puis Rommor fit glisser sa veste au sol d’une geste des épaule avant d’enlever très vite son T-shirt et de le jeter à l’autre bout du couloir ; Moira s’était déjà attaquée à sa boucle de ceinturon en riant doucement.

_ Qu’est-ce qu’une fille ne doit pas faire pour obtenir un bouquet de fleurs et un peu d’attention !

_ Nous sommes mariés, ça me donne officiellement le droit d’être un mufle de temps en temps.

_ C’est ça, essaye un peu et tu verra de quel bois je me chauffe…

_ Tout ce que tu voudra mon amour.

 

Leurs rires étouffés disparurent derrière le sifflement de la porte coulissante de la cuisine, honnête compromis.

_

La petite famille était réunie sur le grand lit de la chambre du premier, Moira riait pour elle-même, son mari avait les yeux grands comme des billes, restant coi, en admiration devant leurs enfants. Du haut de leurs quatorze mois, chaque absence de leur père les voyait se transformer un peu plus ; Deseanna arpentait de façon résolue son environnement, elle arrivait presque à marcher sans aide ; son frère lui, était plus intéressé par tout ce qui faisait du bruit ; Amyel observait et tentait de répéter les mots, dans ce qui ressemblait plus à du Sulustéen qu’à du basique, ne manquant pas d’amuser tout le monde.

_ Ouch !

Dee, comme son père la surnommait, venait de lui croquer un doigt.

_ C’est que ta fille a un fier petit râtelier à présent.

_ Je vois ça, j’ai senti ça… Mais ce que je préfère, ce sont ses cheveux ; on voit enfin que c’est une vraie fille !

_ Personne n’a jamais pris ma fille pour un petit garçon !

_ C’est sûr, on l’emballe en rose comme un gros bonbon… C’est un code universel, rose pour les filles, bleu pour les garçons.

_ Rom’ mes goûts en matière vestimentaire ne sont pas discutables.

L’intéressé fit couler son regard sur sa femme, dans sa petite robe estivale à bretelles, il n’avait en effet rien à y redire.

_ Je ne me permettrai pas mon cœur…

_ Ben voyons ; dois-je te rappeler qui de nous deux a fait fortune dans la confection ?

Rommor embrassa la main de Moira, si leurs enfants héritaient un tant soi peu du talent de leur mère, il n’auraient pas à s’en faire… Couture, danse, musique, médecine ; il arrivait parfois au Chandrilan de jalouser sa femme ; il n’avait jamais eu ni le loisir, ni le goût, de s’adonner à des activités aussi créatives ou altruistes. Et si la mère de ses enfants n’était pas non plus dépourvue de compétences moins avouables, le côté paternel de la famille suffirait amplement à ce que Deseanna et Amyel soient eux aussi prédisposés tout du moins à savoir se défendre. Comme si elle lisait dans ses pensées, Moira demanda à son mari.

_ Tu as des nouvelles de ton père ?

_ Plus depuis quelques temps, il est en tournée de visites officielles avec sa majesté, donc leurs déplacements sont secret défense… Et puis nous n’avons pas beaucoup de choses à nous dire de toute façon.

Caressant le ventre de leur fils, Moira sourit, elle n’allait rien ajouter car elle savait le sujet glissant ; et encore, ce n’était rien comparé au deuxième sujet catastrophe, la mère de Rom’. Elle qui aurait voulu en savoir plus sur sa propre famille et ses origines, l’orpheline avait du mal à saisir comment des personnes aussi proches que des parents et leur fils unique aient réussi à devenir de parfaits étrangers les uns pour les autres ; mélanger politique et vie de famille ne pouvait mener qu’au désastre.

_ Tu sera heureux d’apprendre que les choses se passent bien à la fondation.

_ Vraiment ? Je dois dire que ça m’inquiétait un peu, il devient de plus en plus difficile de travailler dans le domaine de la culture avec le climat actuel.

_ On se débrouille, Avalanche fait ce qu’il faut pour.

_ Tout ça me manque un peu, l’exploration de temples perdus, la négociation à couteaux tirés pour une œuvre ou un artefact…

_ En fait Trésor, tu as toujours été un contrebandier dans l’âme ; c’est ton petit côté vaurien qui m’a séduite d’ailleurs.

_ Alors j’ai eu de la chance de t’épouser avant que Ssekrer ne le fasse ! Je dois dire que la vie d’aventurier avait quelque chose de follement amusant, et l’insouciance ça n’a pas de prix ; quand j’ai du rempiler je suis vraiment devenu imbuvable.

Elle agita la main, comme si elle n’était pas bien sûr que le terme soit assez fort ; Rommor se vengea en prenant leur fille à bouts de bras, lui permettant de jouer un peu avec les cheveux de sa mère.

_ Ca va ! Ca va ! J’admet que tu te soignes bien depuis.

_ Tant qu’il me restera la navigation spatiale, le boulot sera supportable ; si je devais piloter un bureau à l’amirauté, je plaquerai le job une bonne fois pour toutes.

_ Ce n’est pas tant de lâcher « le job » le problème, c’est surtout que lui, veuille bien te lâcher.

_ Entre toi et moi, je ne sais pas qui a le plus de problèmes avec l’Empire de ceux qui travaillent pour ou contre lui.

_ Au vu de vos uniformes ? Je dirai que c’est vous.

_ Merci, tu sais combien ton soutient est important pour moi ma chérie.

Ils en rirent, un peu plus d’un an auparavant, ce genre de petite discussion innocente aurait pu tourner au vinaigre, mais plus maintenant… Non, Rommor était confiant, il connaissait « le chemin » qu’il arpentait, et il allait dans la même direction que celui de Moira. Le temps s’écoula sans heurts sur la planète paradis, si bien qu’il semblait à Rommor que l’éternité pourrait bien ressembler à cette journée sans qu’il n’ait jamais rien à y redire. La guerre était loin au dehors, les souffrances semblaient comme perdues dans un passé brumeux, et les cauchemars n’avaient pas leur place dans la couche des époux Darksun-Cabb.

Créé le mardi 28 août 2007 à 20h09 par Guinch & mis à jour le mardi 28 août 2007 à 20h23