Rommor Ep45

Le petit restaurant n’était pas trop fréquenté, ce qui le rendait vraiment agréable ; perdu dans les petites rues loin du vacarme de l’astroport, on traversait un charmant dédale d’allées étroites aux murs couverts de lierre, éclairé par de discrets lampadaires de fer forgé.

La première fois qu’ils étaient venus en vacances à Kaadara, Moira et Rommor avaient dîné dans ce restaurant ; après une belle journée à la plage, ils s’étaient régalé du poisson local arrosé d’un non moins bon vin blanc. Des années plus tard, ils éprouvaient le même plaisir à flâner dans les rues de la ville côtière, où tout caprice pouvait être réalisé à l’improviste, et où rien ne semblait avoir d’importance.

Après un arrêt à une terrasse de café, où les fiers à bras locaux venaient montrer leurs parures extravagantes et leurs landspeeders de sport ; le couple fit un tour à l’amphithéâtre où le spectacle ne s’arrêtait jamais ; puis quand la faim se fit sentir, c’est tout naturellement qu’ils se replièrent sur le petit restaurant de leurs débuts.

Le restaurant lui même était assez semblable dans sa disposition aux cantinas les plus populaires de la bordure, mais ses murs peint à l’aide de pigments terreux turquoise puis ocre, faisaient toute la différence ; dans la fraîcheur de ses voûtes légèrement enfoncées sous le niveau du sol, les gens dînaient calmement, le murmure de leurs conversations formant avec la douce musique d’ambiance une sorte de symphonie éthérée.

_ Je me fais l’impression d’un père indigne.

_ Pourquoi Trésor, parce que nous prenons un peu de temps pour nous ? De toute façon les petits dorment à cette heure-ci, ils n’aimeraient pas être ici.

_ Tu as sûrement raison.

_ Combien de fois devrai-je te le répéter ? J’ai toujours raison.

_ Ca faisait longtemps que tu ne me l’avais pas sortie, celle-là.

_ Peut-être que c’est par ce que je ne te vois pas assez souvent.

Rommor fit une grimace d’excuse et se ménagea une petite pause en buvant une gorgée de vin.

_ Tu as tous les droits d’être contre mon choix de carrière, je n’argumenterai pas là-dessus.

_ Ce serait parler dans le vide, tu es le fils prodige du Vieux Vornsk, pas encore trentenaire et déjà à la tête d’une escadre de croiseurs ; c’est bien ça ?

_ Presque, croiseurs lourds mon cœur.

_ Ca pour être lourds, ils le sont.

Il en rit de bonne grâce, tout passionné qu’il était par son métier, certains aspects de sa vie professionnelle étaient vraiment pénibles à assumer… Mais d’un autre côté, il vivait la meilleur partie de sa vie depuis qu’il avait épousé Moira ; les années de barbouze passées à patauger la boue et les tripes n’étaient plus qu’un mauvais souvenir à présent.

_ Ce que j’aimerai vraiment Trésor, c’est que tu sortes de cet engrenage une bonne fois pour toutes ; tu peux naviguer sans être dans la marine, nous sommes riches, jeunes et nous avons Amyel et Deseanna, on peut difficilement demander plus à la vie.

Il était difficile, quand une femme aux superbes yeux gris prenait vos mains et vous clouait sur place avec ce genre de supplique, de ne pas se sentir minable en faisant la sourde oreille ; tout l’entraînement du monde n’empêcherait pas Rommor de se décomposer en silence en regardant sa femme dans les yeux.

_ Bientôt j’espère, très bientôt.

Et de son côté, Moira souffrait vraiment de voir qu’après tout ce qu’ils avaient traversé ensemble, son mari lui cachait encore des choses qui semblaient peser sur son âme.

_ Je n’aurai pas du parler de ça, Rom’.

Il prit une grande inspiration et chassa le trouble de son visage ; souriant autant que possible.

_ Non, non ; tu as bien fait, il faut me garder sur des charbons ardents avant que je ne caresse des idées folles comme devenir grand amiral ou un truc du genre. Je te promet que d’ici trois ans tout au plus, je prendrai ma retraite de la marine impériale, qu’est-ce que tu en pense, ça te semble raisonnable ?

La nouvelle la prit par surprise, elle sentit quelque chose monter dans sa poitrine, une immense vague de soulagement qui confinait presque aux larmes de joie.

 

_ Oui, oui c’est très bien !

_ Retraité trentenaire, je crois que je l’aurai bien mérité vu ma carrière.

Moira fit le tour de la table, s’assit sur les genoux de son époux et passa les bras autour de son cou.

_ Je te ferai un super cadeau de retraite, tu verra.

Ils s’embrassèrent tendrement et les clients du restaurant les sifflaient ou les applaudissaient déjà ; Rommor du se retourner et leur faire un signe désolé.

_ Non, non, elle m’a déjà épousé !

Ce qui amena une bordée de rires de l’assistance ; Moira avait attiré quant à elle l’attention du serveur pour régler prématurément leur note.

_ Nous rentrons milady ?

_ Oui, je vais te donner un avant-goût de ton cadeau, histoire de te motiver un peu à tenir ta promesse… Et, Trésor ?

_ Oui mon cœur ?

_ Si dans trois ans tu me plaques encore pour un vaisseau, une escadre ou même une flotte entière de destroyers, aussi gros soient ils ; je te tue.

Ceci dit, elle l’embrassa, puis l’entraîna avec autorité vers la sortie. Adossé au mur, hors de vue dans une des alcôves, Aves Porter enleva son oreillette amplificatrice et la plaça dans sa poche.

Créé le mardi 28 août 2007 à 20h14 par Guinch & mis à jour le mardi 28 août 2007 à 20h25