Rommor Ep46

La permission de Rommor touchait presque à sa fin, dans deux jours à peine il devrait reprendre l’espace pour une absence plus longue que les précédentes ; deux mois de déploiement. Même en étant stationné dans le secteur Corellien, il était hors de question qu’il mette pied à terre pour se payer un rendez-vous en amoureux ou une promenade en famille, ça allait être régime sec et réjouissances martiales tout du long ; étrangement cela ne l’excitait plus autant qu’avant.

Mais pour être honnête avec lui-même, l’appréhension venait d’ailleurs, d’une ligne rouge tracée dans le temps qui approchait très vite.

Dans ces moments, le Chandrilan trouvait son réconfort dans la pratique des anciens rituels du clan Cabb ; la danse des révélations était un excellent moyen de vider son esprit et de se libérer de la peur. Alors ce matin-là, Rommor quitta le lit juste avant l’aube, saisit son vieux pantalon de Dhorzul et fit face au levant sur la plage.

Malgré l’entraînement, le jeune homme devait admettre qu’il n’était plus au sommet de sa forme ; la coordination parfaite de ses mouvements tenait du souvenir, tout un côté de son corps voulait simplement aller plus vite que l’autre… Il était difficile de ne pas mettre ce déséquilibre physique en parallèle à son état d’esprit ; fermant le cercle de pierre de ses poings tendus, Rommor Irirus Cabb revint en position d’attente, respirant amplement l’air frais précédant le lever du soleil.

Une turpitude, quelque chose accrochait et ne répondait pas à la forme pure, stricte et brutale du cercle de pierre ; glissant avec grâce, l’homme entama le cercle de sable qui lui permettrait de contourner son problème. Son corps était échauffé à présent, ses muscles souples portaient chaque mouvement à la rencontre des adversaires invisibles, chassant les ténèbres.

Revenant en position d’attente, Rommor sentit qu’autour de lui la nuit s’était éclaircie, que sur l’horizon le feu de Thyrsus allait se déverser et laver le monde… Mais lui, lui qui aurait du participer à cette révélation ; il s’en sentait incapable, il y avait un obstacle dans son cœur l’empêchant d’atteindre la lumière, et la sérénité.

« Pour me tuer jeune Cabb, tu devra d’abord tuer ton père. »

C’était évident, la voix cruelle et sordide de l’Empereur venait de résumer tout le problème. Ebranlé, Rommor plaça rituellement ses mains sur son visage, mais ne le lava pas dans les rayons d’or du soleil, il restait dans le royaume de la nuit. Le bruit léger des pieds nus de Moira sur le sable, le contact de ses bras contre la peau légèrement moite de Rommor, l’aura apaisante de sa présence. Son épouse avait remarqué son absence, elle savait le trouble qui l’habitait, ce noir secret dont il ne pouvait s’ouvrir à elle.

_ Je ne suis pas prêt Moira.

_ Je sais.

Comment tous les seigneurs Cabb avaient-ils pu ? Comment père avait-il su qu’il devait tuer son frère Virgil ? Red aurait tué Lorn Irrin Cabb sans hésitation aucune ; mais aujourd’hui que ce monstre intérieur avait été dompté, le chemin de Rommor Irius Cabb devait à tout prix s’écarter des ténèbres, pour l’amour de sa famille… Cet amour qui avait arrêté la main de son père lors de leur duel, pouvait-il ne pas le retourner ? C’était impensable, la seule idée de tuer son père révulsait toutes les fibres de son être, s’il le faisait, alors il redeviendrait ce monstre que l’Empereur avait voulu faire de lui.

Moira du le sentir frissonner, car elle resserra son étreinte autour de son époux.

_ Quelle que soit cette chose qui te tourmente, ne l’affronte pas tout seul.

_ Je vous ai toujours dans mon cœur toi et les enfants, mais là… J’ai besoin…

Elle plongea dans ses yeux, passant une main douce dans ses cheveux ; ce geste lui rappela le souvenir lointain d’une tendresse trop rare, la seule personne qui pouvait conseiller Rommor aujourd’hui était celle qui avait essayé et échoué là où il devait aller.

_ J’ai besoin de ma mère.

__

 

 

Le jour du départ était finalement arrivé, et ce n’était pas pour réjouir un seul des membres de la famille Cabb ; l’étrange attitude de son mari angoissait un peu Moira, déjà qu’elle n’aimait pas le savoir là dehors sous l’uniforme impérial. En effet, lui qui d’habitude arrivait à partir avec un certain enthousiasme, né de sa passion pour son travail, il semblait cette fois-ci s’arracher à sa famille avec une sombre résignation.

Ils étaient là sur le perron, Rommor ne voulait pas que Moira l’accompagne jusqu’à l’astroport ; le taxi attendait et il ne lui restait plus qu’à y grimper… Vraiment plus facile à dire qu’à faire.

_ Tu sera prudent.

_ Bien sûr mon cœur.

_ Trésor, tu m’as promis de décrocher d’ici trois ans, alors pas de bêtises.

_ Tu me connais, je ne suis pas prudent, je suis paranoïaque.

Elle grommela, se rongeant le bout des ongles.

_ Avec la façon dont tu vis, tu as de bonnes raisons de l’être, tu ne crois pas ?

_ Je vais embrasser les enfants.

_ Rom’, tu l’as déjà fait…

_ Je sais.

Il fit un saut à l’intérieur, regardant Amyel et Deseanna comme pour graver à jamais leur image dans sa mémoire, les regardant à s’en brûler les yeux… L’imbécile, il allait vraiment rendre Moira folle d’inquiétude à se comporter comme ça ! Et dire qu’elle avait souhaité qu’il soit un eu plus « père de famille », elle était servie pour la peine ! La pensée saugrenue lui arracha un petit sourire en coin, Rommor le capta puis la prit par les épaules, retournant sur le perron.

_ Voilà, il faut que je file.

_ Alors file, imbécile !

_ Ce n’est que pour deux mois, manœuvres de routine ; j’écrirai souvent.

_ Tes deux mois ont commencé Trésor, l’horloge tourne et tu as intérêt à être de retour à la maison à l’heure !

Se séparer devenait de plus en plus dur au fil des secondes, ils se regardaient la gorge serrée ; Rommor craqua le premier et embrassa sa femme, elle dut gentiment le repousser et ils finirent par réussir à s’arracher l’un de l’autre.

_ Je t’aime Moira.

_ Pas autant que moi.

Il jeta son sac sur l’épaule et courut jusqu’au taxi, les époux ne se retournèrent que quand l’autre fut devenue un tout petit point dans le lointain. Arrivé devant l’astroport, Rommor paya le chauffeur de taxi et ce dernier lui remit un bloc de données.

_ Les rapports de surveillance que vous attendiez, avec les compliments de Lady De’Sillah.

La perm’ était terminée, la guerre reprenait avec ses complots, ses trahisons et bientôt… Ses morts.

Créé le mardi 28 août 2007 à 20h17 par Guinch & mis à jour le mardi 28 août 2007 à 20h26