Rommor Ep54

L’univers tout entier semblait reposer sur les épaules de Rommor Irius Cabb, assis sur la couchette des quartiers austères, il se tenait la tête, endurant une migraine montante. Derrière lui les taches sombres ornaient encore le mur et l’air sentait le brûlé ; mais qu’est-ce qui lui avait pris ?

Bien sûr, sa carrière était finie ; mais si le Rommor d’autrefois aurait pu comprendre un tel geste, celui d’aujourd’hui était simplement… Abasourdi.

 

_ Capitaine ? Pouvons nous l’emmener ?

 

Rommor secoua doucement la tête puis se releva.

 

_ Allez-y docteur.

 

Les deux spationautes infirmiers emmenèrent le corps dans son sac jaune. Dex Calloon avait passé son uniforme de parade, ses bottes et son ceinturon cirés, puis il avait enfoncé le canon de son pistolet blaster dans la bouche, et s’était grillé la cervelle. Il avait vingt-sept ans.

 

_ Monsieur, l’amiral Klein vous attend.

 

C’était l’épreuve que Dex Calloon avait voulu éviter, Rommor se fit une raison et rejoint sa navette sur le pont hangar du Conquérant. A son arrivée à bord du Marteau de Guerre, seul l’officier de pont l’attendait, cela présageait de la nature de l’entrevue à suivre.

 

_ Bienvenue à bord du Marteau de Guerre capitaine, l’amiral Klein vous attend en salle de réunion si vous voulez bien me suivre.

 

Klein avait vieilli depuis leur dernière rencontre, sa moustache et ses tempes s’étaient teintées de gris, sa silouhette déjà épaisse s’était encore alourdie ; et son visage rougeau tremblait de colère. Rommor le salua.

 

_ J’attends des explications Cabb !

 

Rommor enleva sa casquette, il ne se sentait pas d’attaque pour un affrontement avec Klein maintenant.

 

_ Je dirai que la victoire vous revient monsieur.

_ Ne vous fichez pas de moi ! Vous nous avez baladés comme des débutants tout du long de ce maudit exercice, et jusqu’à cette… cette… connerie monumentale !

_ Oui, mais vos officiers vous ont obéi amiral.

_ Quoi ? Vous voulez dire que le capitaine du Conquérant a agi de sa propre initiative ?

_ Les enregistrements de l’exercice vous éclaireront amiral.

_ Qui que soit le responsable, croyez bien que j’aurai sa peau ; nom de nom il aurait pu y avoir les morts !

_ L’un dans l’autre, oui.

_ Qu’est-ce que vous voulez dire ?

_ Le capitaine de frégate Calloon, commandant de l’ISC Conquérant s’est donné la mort il y a une dizaine de minutes monsieur.

 

Devant le visage blême de Rommor, la colère du contre-amiral Klein s’effondra brusquement.

 

_ C’est… C’est terrible. Mais pourquoi a-t-il fait ça ?

_ Le déshonneur, la peur des représailles… Je ne suis pas bien sûr de vouloir savoir le fin mot de l’histoire.

 

Klein observait avec surprise un aspect de Cabb qu’il n’avait même pas imaginé, il était vraiment très pâle, comme un jeune officier ayant perdu son premier homme, et pourtant… C’était le même homme qui avait précipité le Glaive sur un vaisseau ennemi, emmenant quasiment tout un équipage vers la mort.

 

_ Est-ce que ça va capitaine ?

_ Non monsieur, je crois que je vais vomir.

 

L’amiral tira une des chaises entourant la table de réunion et fit asseoir son jeune collègue, faisant signe à son intendant.

 

_ Apportez de l’eau pour le capitaine Cabb.

_ Merci monsieur, ça va aller je pense. Vous ne m’en voudrez pas si dans les présentes circonstances j’ajourne le dîner des commandants.

_ Non, bien sûr.

 

L’intendant revînt avec une carafe d’eau, le liquide fit du bien à Rommor qui prit des souffles plus amples.

 

_ Avec votre permission amiral, je vais rentrer à bord du Protecteur.

_ Bien sûr capitaine, bien sûr…

 

 

Installé à son bureau, baignant dans la semi obscurité de l’espace, Rommor attendait que l’anti-douleur fasse son effet, rédigeant la lettre pour Moira, seule activité pouvant lui ramener un peu de sérénité.

 

Mon amour,

 

J’espère que pour les enfants et toi tout va pour le mieux, plus que quelques semaines avant mon retour au port, j’ai hâte d’être à la maison.

Ici les choses ne se passent pas toujours comme je voudrais, il y a eu un accident durant les manœuvre, j’y ai perdu un homme. C’est une responsabilité difficile à assumer, un soldat devrait mourir au combat, et un bon soldat ne devrait pas mourir du tout ; je ne peux pas échapper à mon rôle dans cette affaire, j’ai trop exigé de cet homme.

Mais j’ai « gagné », comme si je devais en tirer un quelconque soulagement ; pour remporter cette victoire dans un jeu de guerre, j’ai poussé un homme vers sa mort.

Cette disparition me touche car c’était comme moi un Chandrilan, par bien des aspects il me rappelait le jeune enseigne que j’étais au début de ma carrière dans la marine il y a une dizaine d’années. J’ai l’impression d’avoir infligé à cet homme les mêmes épreuves auxquelles mon père m’a soumis, je doute parfois de faire un bon lord protecteur plus tard.

Un équipage, une escadre, est comme une famille étendue et un peu dis fonctionnelle ; je sais ce que cela doit t’inspirer, ma famille en plus grand ; nous avons perdu un des notre, mais cela semble nous avoir rapprochés… Je regarde tous ces visages et j’ai le trac, ils attendent tellement de moi, ils pensent que je suis infaillible ou invulnérable, je ne sais pas ; c’est une sensations à la fois grisante et terrifiante.

Quand Deseanna et Amyel seront un peu plus âgés, il faut vraiment que vous veniez visiter un de mes navires ; c’est puéril je sais, mais j’en suis fier comme un Peko Peko de sa traîne à la période des amours.

Même endeuillée par la mort d’un camarade, notre mission est un succès ; je ne le leur dis pas souvent, mais mes équipages sont du tonnerre. Heureusement que je n’ai pas à me montrer aussi distant avec ma famille, tu sais combien je vous aime tous les trois, et combien vous me manquez.

Voilà, les exercices sont terminés, d’ici la fin de notre déploiement, nous nous cantonnerons à des activités de routine, j’aurai le temps de lire un peu et d’aller me défouler avec un chasseur ; ce sont les seules distractions que j’ai à bord. Je ne considère pas l’entraînement quotidien avec Kern comme une distraction, le vieux fusilier est un pince-sans-rire dans ces moments-là… Entre son attention, celle de Porter et même le cynisme de mon chirurgien chef, j’ai l’impression d’être le centre de notre petit monde ; ils pourront faire ces vaisseaux de plus en plus grands, nous finirons toujours par y tourner en rond.

C’est à peu près tout ce qu’il y a à raconter sur ce petit coin de la galaxie ; je vais retourner à mes devoirs, j’ai un éloge funèbre à prononcer dans huit heures et je n’ai pas encore fermé l’œil depuis mon dernier quart.

Je ne resterai pas éveillé bien longtemps je pense, je suis épuisé ; mes rêves m’emmènent vers vous, car tu es le trémolo dans ma voix quand elle se brise, la faiblesse soudaine qui fauche mes jambes, ma lumière quand je suis dans le noir ; je ne sais pas ce que je ferai sans vous dans ces instants, je ne sais pas qui je serai devenu si je ne t’avais pas rencontrée.

 

Je vous embrasse très fort et je pense à vous, je serai bientôt là.

 

Rom’

 

 

Mais Rommor se mentait, il se sentait incapable de dormir, même si ses yeux brûlaient, même si sa bouche était desséchée ; quelque chose au fond de lui se révoltait, tout son être éprouvait une colère sans nom…

 

_ Rommor ?

 

Il leva les yeux et aperçut Lamar Benquist, comment avait il pu passer le barrage du toujours vigilant maître principal Porter ?

 

_ Entrez Lamar, asseyez-vous.

_ Votre hospitalité irait-elle jusqu’à m’offrir un verre de ce fameux Cohol grande réserve ? Je pense que nous en avons tous deux grand besoin.

 

Rommor ne pu se résoudre à se lever de son siège et désigna d’un geste fatigué la bouteille sur le meuble adjacent. Patiemment, Lamar prit deux verres et les servit, emmenant la bouteille avec lui pour la poser sur le bureau.

 

_ A notre victoire et à la mémoire des amis disparus.

 

Rommor bu sans reprendre le toast, avalant le précieux alcool au lieu de le savourer.

 

_ Vous avez une mine affreuse.

_ D’après vous Lamar, quelle gueule devrait donc avoir un commandant qui a tué un de ses officiers ?

_ Vous ne teniez pas l’arme que je sache.

_ Ne vous foutez pas de moi, Dex était comme un clébard en ma présence.

_ C’est vrai, il venait de chez vous après tout.

_ Oui, un Chandrilan pur jus.

_ Lorsque nous étions stationnés autour de Tralus, il m’a raconté que pendant son enfance, il vous avait vu un jour lors d’une chasse en compagnie de votre père, et il avait été impressionné par cet enfant du même age que lui, monté et armé, l’air fier comme…

 

Rommor l’interrompit brusquement, lui tendant son verre pour qu’il le resserve.

 

_ Personne ne voudrait de mon enfance Lamar, croyez-moi.

_ C’est ce que vous étiez pour Calloon, le seigneur Cabb, c’est comme ça qu’il vous appelait en privé.

 

Rommor comprit, l’armure.

 

_ Je ne savais même pas qu’il venait du domaine Cabb ; je n’ai jamais pris la peine de parler avec lui. Regardez-moi, un de mes commandants a tellement peur de moi qu’il se suicide, un autre je dois la faire se tenir à carreaux en faisant pression sur sa famille ; je fais un fier officier général, ça c’est sûr !

_ C’est la marine impériale Rommor, on pourrait m’arrêter rien que pour l’avoir dit !

_ Merde Lamar, ce n’est pas ce à quoi nous rêvions, non ?

_ Certainement, mais c’est toujours mieux que l’anarchie… Que ferions nous autrement, des hommes comme vous ou moi ? Nous sommes nés pour naviguer, si nous restons trop longtemps au même endroit cela nous ronge comme une maladie.

_ Un jour, tout ça va changer… Un jour nous pourrons arborer fièrement notre uniforme.

_ Nous ferions mieux d’éviter de tenir ce genre de discours.

_ Oubliez ça Lamar, je suis épuisé et excédé.

_ Je comprends… Il est très tôt pour parler de ça mais…

_ Je sais, le replacement de Calloon, franchement ? Je ne vois qu’une personne, Varlan, c’est un homme carré.

_ Ce serait aussi mon choix.

 

Rommor vida son verre puis se leva.

 

_ Excusez-moi Lamar, mais je suis épuisé ; je vais aller dormir.

_ Je vais vous imiter, je voulais juste prendre de vos nouvelles, c’est tout.

 

Le capitaine raccompagna le Corellien jusqu’à la porte puis s’en retourna ranger le Cohol et éteindre sa lampe de bureau… Un instant il contempla l’armure pourpre dans son alcôve, puis avec colère jeta son verre dessus si violemment qu’il le brisa.

 

_ « Monseigneur », Calloon pauvre imbécile !

 

Epuisé, Rommor gagna sa chambre par l’écoutille derrière son bureau ; quelques minutes plus tard, seul dans l’obscurité de la pièce, Aves Porter s’approcha de l’armure ; il activa les droids de nettoyage pour ramasser le verre cassé, puis respectueusement, quasi-religieusement, nettoya l’armure familiale des seigneurs Cabb.

Créé le samedi 8 septembre 2007 à 2h24 par Guinch & mis à jour le mercredi 20 mars 2013 à 14h06