Rommor Ep6

C’était le petit matin, malgré mon excitation il arrivait toujours à me surprendre à un moment où je m’étais assoupi. Je sentais une main dure se refermer avec maîtrise sur mon épaule, comme s’il n’avait pas voulu que je me brise sous sa poigne de fer.

Je sortais en silence du lit et nous traversions pieds nus les couloirs du manoir, descendant à la cave pour revêtir nos Dorzhuls, la salle d’escrime sentait le vieux cuir et la cire à bois, chaque lanière du Dorzhul que je serrais me faisait l’impression d’un geste rituel et milles fois répété. Mon plastron d’escrime et ma jupe étaient rouges, ceux de Père étaient du vert de jade de l’ancienne garde sénatoriale, il aimait cet habit d’exercice confortable et ne l’avais pas plus changé depuis qu’il n’avait du forcir.

Nos armes à la main nous sortions alors dans l’obscurité sans autre paquet qu’un pot de fer enroulé dans une natte, nous cheminions sûrement sur le sol gelé, nos sandales faisant craquer la fine couche de givre à chaque pas. Nous prenions ainsi les sentiers les plus obscurs des bois du domaine, nous montions la colline et trouvions de l’autre côté une clairière que seuls lui et moi connaissions.
Arrivés, nous posions nos armes et notre natte, puis réunissions du bois mort pour faire un grand brasier ; alors avant que l’aube grise ne pointe, nous allumions ce feu et c’était enfin Heïyedahn.

Pour moi c’était la plus belle fête de l’année, il faut admettre que c’était aussi la seule ; Père prenait son arme et dansait autour du feu, il combattait le temps et la fatalité, dans des postures très précises, et dont plus personne ne saisit aujourd’hui le sens.

Nous faisions un sacrifice, une cuisse bien grasse devant aller aux ancêtre ; alors qu’elle brûlait Père et moi récitions les noms de tous le seigneurs de Cabb ayant vécu depuis le premier à avoir posé le pied sur Chandrila il y a de cela plus de sept cent cinquante ans. Heïyedahn avait lieu au matin du jour séparant l’automne de l’hiver, c’était une transfiguration marquant je crois l’évènement qui avait poussé le premier seigneur de Cabb sur cette planète, dans cette clairière même où nous honorions sa mémoire.

En ce jour il fallait que le sang soit versé, juste quelques gouttes comme pour dire que le tribu continuerai à être payé en temps de guerre comme en temps de paix; assurer les ancêtres que les rites et traditions étaient respectés. Nous mangions, c’était un moment de détente ; Père me disait alors tout ce qu’il lui semblait important que j’appris. Immanquablement le sujet était toujours de nature martiale, néanmoins c’était un domaine où la sagesse de monsieur mon Père ne pouvait être mise en question.
Si je devais choisir une leçon de choses en particulier? Quelques mots qui symboliseraient la quintessence de l’esprit d’Heïyedahn?

«Souviens toi qu’il n’y a qu’une seule règle d’or à la guerre: c’est qu’il n’y en a aucune.»

Nous disions quelques poèmes, faisions infuser des herbes dans de la neige fondue, j’étais fort à ce jeu des improvisations et pour mon bonheur Père aimait assez ma prose. Quand le soleil allait atteindre le zénith alors nous repartions au manoir et prétendions avoir été toute la matinée à l’exercice dans la salle d’armes. Personne ne savait notre secret.

Je suis quelqu’un qui déteste croire, je n’aime ni les causes politiques ni les religions, mais ce matin je me suis levé et j’ai fait un feu, ce matin c’était Heïyedahn.

Créé le samedi 2 juin 2007 à 23h19 par Guinch & mis à jour le mercredi 20 mars 2013 à 14h06