Konshu Ep3

Le goût salé de la sueur, la teinte métallique du sang sur sa langue ; à bout de souffle il s’élance, ses pieds glissent sur le sol mousseux, et ses bras tentent désespérément d’agripper le rondin de bois glissant. Son torse s’écrase contre le rondin, chassant l’air de ses poumons ; il lutte, glisse, et tombe dans la fosse d’eau croupie.

L’eau qui dégouline le long des racines tombe jusque dans ses yeux, encore étourdi il bat des bras pour sortir de la fosse, réessayer, probablement échouer à nouveau. Mais le but de l’exercice n’est pas tant de passer par dessus un stupide rondin, plutôt que d’apprendre à persévérer. C’est une question de pure motivation, de solidité mentale aussi bien que physique.

Car c’est ainsi que l’on endurcit les bêtes, qu’on les rend méchantes, en leur tapant dessus jusqu’à ce que la douleur devienne une habitude, que le réflexe de recul sous les coups soit complètement inhibé… Qu’il ne reste que la hargne et l’envie de mordre, de toujours avancer sur l’adversaire.

Depuis la mort de père, Konshu fils de Réa a décidé d’abandonner l’art de la fabrication des armes et des outils ; il va devenir le meilleur chasseur du sanctuaire, faire taire les racontars qui disent que Réa se fait trop vieille pour mener le groupe de survivants… La principale voix de ce cœur de mécontents était un autre chasseur du nom de Dimak, et Konshu ne comprenait pas que sa mère n’ait pas réglé le problème d’elle-même ; mais sûrement la peine avait elle pris le pas sur l’orgueil chez Réa.

Après une courte pause, c’est le moment de rentrer ; les fleurs carnivores ne vont pas tarder à se refermer, et avec leurs corolles disparaîtra la lumière chimique qui attire leurs proies… Tous les gens ne Noir Métal le savent, c’est avec l’obscurité que viennent les Kitins. Le jeune Fyros juche le sac de lianes tressé sur ses épaules nues, et court d’un pas lourd pour rejoindre le sanctuaire ; ce sac rempli de fruits durs comme le bois pourrait être un homin blessé, et la lignée de Kaleb ne laisse personne derrière.

Le sanctuaire est là, grappes de maisons rondes avec leurs ponts de lianes, et au milieu du tronc qui les rassemble, est planté l’étrange obélisque de métal noirci. Ce n’est pas une vision heureuse, car l’endroit ne resplendit pas de lumières qui réchauffent le cœur ; c’est un abri, un endroit où se cacher, la lumière ne doit pas se voir de l’extérieur… Et de toute façon, qu’y a-t-il à voir à l’extérieur ? Pourquoi aurait-on besoin de choses telles que des fenêtres ? Pour se déplacer, il suffit de s’agripper aux mains courantes installées partout ; sur la corde sont enfilées des billes de bois creuses, grosses comme le poing ; au toucher, à leur surface, les inscriptions vous révèlent où vous vous trouvez et où mène le chemin.

A l’instar de la lumière, le bruit n’a pas droit de cité au sanctuaire ; la musique, le chant et le rire des enfants y sont depuis longtemps oubliés. Les mères n’élèvent pas leur progéniture, c’est là le rôle des vieux qui ne peuvent plus participer aux récoltes ; parfois une voix chevrotante peut fredonner. La tradition de noir métal est gravée, sculptée à l’intérieur du tronc qui sert de hall commun ; ici on peut caresser plusieurs générations de visages polis par le temps, les gens de noir métal sont de grands artisans, s’exprimant comme ils peuvent… En silence.

Ce qui explique la survie de ces gens, c’est une flamme intérieur, une rage de vivre propre au peuple Fyros… Parfois si grande, qu’elle risque de les consumer. C’est exactement la façon dont se sent le fils de Kaleb et de Réa ; alors qu’il dépose sa petite récolte dans le hall, il voit les orbes de feu mystique pendues autour de l’obélisque et sent quelque chose à l’intérieur de sa poitrine, comme s’il était à l’étroit dans sa peau. C’est un cri silencieux, des pleurs trop longtemps retenus ; un hurlement tel qu’il éclipserait même celui des essaims de Kipees… Si on le laissait sortir.

Konshu suit le cordage de lianes tressées, il sent l’obscurité encore plus profonde que d’habitude, le vide qu’il surplombe, l’appeler… Car il appelle toute chose, et vers lui vont les morts pour retourner à Atys. A la force des bras, il grimpe dans sa maisonnée, c’était autrefois l’atelier de son père ; mère en est partie pour occuper un fruit dont les gens ne sont jamais revenus, peut-être ne supportait-elle plus le vide laissé par Kaleb. L’endroit sent le bois vernis, l’odeur âcre des tendons séchés, le cuir et la chitine bouillis ; des bouquets d’herbes aromatiques adoucissent le tout, en faisant une sorte de luciogramme olfactif, un peu passé, comme un souvenir lointain.
Le jeune Fyros se sent parfois terriblement seul au milieu des vestiges de sa famille. Il compta trois pas, se tourna sur la droite, en fit deux autres, et toucha le bord de la jatte du bout du pied. En retournant le couvercle concave, il le remplit d’eau, et y trempa un chiffon pour y faire ses ablutions. L’eau fraîche sentait l’huile de feuille verte… il était rare que des feuilles encore vertes tombent si profond, elles emportaient avec elles un peu des faveurs du soleil de Jena. Cette jatte d’eau avait des usages multiples, Konshu trouva étrange que sa mère, pourtant au fait des habitudes de la maisonnée, y ait ajoutée de l’huile précieuse.

Le doute gagnait l’homin dressé dans le noir, avec chaque goutte d’eau coulant sur son corps crasseux ; sa main glissa le long de la table à sa gauche jusqu’à toucher le petit billot, puis du bout des doigts grimpa en caressant la surface incurvée du mur… Il trouva enfin le grand coutelas qui y était suspendu. Les crimes entre homins étaient rares au sanctuaire, mais cela ne signifiait pas pour autant qu’ils étaient inexistants. Ce qui révulsait le plus Konshu, c’était qu’un membre de la communauté ait violé son intimité.

C’était un jeu auquel il avait joué enfant, afin de se faire l’oreille ; Konshu se colla dos à la paroi et siffla entre ses dents… Pour visualiser son environnement, il avait l’habitude de fermer les yeux, un détail stupide quand on y pense, mais ça marchait, dans sa tête. Il siffla une seconde fois, et cette fois-ci, il était quasiment sûr d’être seul dans la maison ; alors seulement, il se résigna à découvrir la lampe à lucioles, projetant une lumière dorée dans la pièce.

Une fois certain d’être seul, Konshu découvrit le foyer de la forge… la fierté de son père, un véritable foyer né de l’art Fyros. Baigné de sa chaleur, l’homin s’allongea sur son lit, sentant l’eau sécher sur sa peau. Ce n’est qu’au bout d’un instant qu’il sentit la différence, ce n’étaient pas les draps rêches auxquels il s’était habitué ; non, le contact contre sa peau était doux, même l’oreiller sur lequel reposait sa tête semblait plus mou… Konshu se redressa et fit le tour de la maison plus attentivement.

Les draps n’étaient pas les siens, les bouquets d’herbe odorantes étaient frais, il n’y avait pas de vaisselle sale sur le buffet ni même de poussière sur le sol… Et pourtant le sol de l’atelier en avait généralement un beau tapis ! Konshu enfila une chemise, couvrit le foyer et descendit en hâte sur le pont de lianes pour gagner la maison de sa mère. Il n’aimait pas l’endroit, il le trouvait lugubre ; non content d’avoir été habité par d’autres, le fruit un peu difforme abritait les trophées de Réa ; lorsque la lumière l’éclaboussait, alors il devenait le théâtre macabre du combat entre l’homin et l’animal. Les visages des ancêtres ornaient les murs de grand hall, et bien la maison de Réa abritait quand à elle les restes de leurs ennemis.

« M’man, j’ai un soucis… Quelqu’un m’a nettoyé la maison. »

Réa avait vieillie, sur ce point ses détracteurs n’avait pas tort, le mèches blanches dans ses cheveux en attestaient ; mais comme beaucoup de femmes Fyros, son corps était resté athlétique.

« On t’a volé, mon fils ? »

Konshu secoua la tête, se défendant d’une telle chose, les mains tendues paume vers sa mère.

« Non, comme j’te l’dis ; quelqu’un est venu me nettoyer la maison… Changer les draps, mettre de l’huile, faire les sols… Pourquoi quelqu’un irait bien faire un truc pareil ? »

Réa réprima un sourire, son fils était un bon garçon, bien sûr qu’elle savait ce qui s’était passé ; non content d’être sa mère, elle faisait figure d’autorité même parmi les anciens du sanctuaire… Une telle chose ne serait jamais arrivée sans son consentement.

« Je vais te dire ce que je pense, fils ; tu passera bientôt le rite du chasseur, et alors tu sera un homin viril ; une homine du sanctuaire veut faire de toi son mari, mais elle souhaite sûrement s’assurer qu’en plus d’être fort, tu es aussi rusé. On dit que l’amour est aveugle, et bien tu devra sûrement trouver qui est cette homine à partir de ce qu’elle a laissé chez toi. Il est probable que tu la connaisse, et que ton cœur sache déjà qui elle est. »

C’était la tradition, une belle histoire qui cachait une réalité pragmatique ; les anciens arrangeaient les mariage à partir des gravures généalogiques du hall, une fois la cérémonie d’initiation terminée, on masquait les lumières, et officiellement, les promis se trouvaient d’eux même dans l’obscurité avant de s’enfuir… En réalité, tous les adultes de l’assistance étaient au courant, et pour éviter des situations embarrassantes, on poussait bien gentiment les époux l’un vers l’autre.

Konshu s’était entraîné durement pour réussir le rite d’initiation du chasseur, à vrai dire, il avait une idée derrière la tête ; mais il était totalement désarmé face à la seconde situation qui était pourtant à envisager. Et son cœur, n’écoutant que son courage, qui ne lui disait rien, se garda bien d’intervenir pour lui révéler qui était l’homine de ses rêves.

« Dragonnerie, mais si ça marche comme ça je ne serai jamais marié m’man ! »

Réa eut toutes les peines du monde à ne pas pleurer de rire devant la sincérité de son bonhomme.

« Je vais te donner un conseil, fils… Le moment venu de ton initiation, tu prendras dans une de tes poches un morceau du tissus de ces nouveaux draps, que tu as trouvés chez toi ; le soir de l’initiation, si tu vois une jeune homine portant un vêtement fait de semblable étoffe, alors il y a de bonnes chances pour que ce soit elle. Mais pour être sûr, dans ton autre poche tu prendras des brins de ces herbes odorantes que tu as trouvé en ta maison, tu les trempera dans l’huile. Lorsque l’obscurité se fera dans le grand hall, tu n’aura qu’à les presser dans ta main, et chercher une odeur semblable ; nul doute que l’homine qui se sera parfumée de cette fragrance, soit celle qui t’as fait ces cadeaux. »

L’immense gratitude qui se peint sur les traits de Konshu fit naître un sourire serein sur les traits durs de sa mère.

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Le moment de l’initiation ne tarda pas, Konshu était un gaillard solide, qui se focalisait souvent sur la tâche en cours ; et depuis plusieurs saisons déjà, son esprit tout entier s’était tourné vers la chasse… Il y mettait tant d’efforts, que Réa se dit par la suite qu’elle aurait du prévoir ce qui allait arriver ; la tradition veut en effet, que l’initiation se passe par un combat rituel avec un des chasseurs plus anciens.

Le grand hall était entièrement éclairé ; les visages des vivants, mais aussi ceux des morts regardaient le pied de l’obélisque où Konshu attendait, revêtu d’un simple pantalon de toile, le bâton aux extrémités rembourrées à la main. Le sol était parsemé de sciure, afin de protéger le parquet des taches éventuelles ; la grande assemblée silencieuse donnait un poids terrible aux paroles rituelles.

« Jeune homin, qui sera ton adversaire ? »

Le fils de Réa tendit la main, désignant du doigt un membre de l’assemblée, lequel pâlit de rage en entendant le défi énoncé par son cadet.

« Dimak, l'moment est v’nu de cracher tes dents, au lieu de ton venin ! »

Le chasseur corpulent, au crâne lisse et brillant comme une bille de bois polie, descendit lourdement les marches menant au pied de l’obélisque ; sa voir était grave et rocailleuse, comme celle d’un fumeur de racines.

« Avorton, tu aurais mieux fait d’rester tailler des jouets dans ton atelier ; je vais t’humilier aux yeux de tous. »

Et il était vrai que Dimak montrait grande habileté à manier la pique, et toutes les armes munies de hampes ; mais c’était un tout autre sujet qui à présent occupait l’esprit de Réa, car ce qu’il n’avait pas en expérience, son fils le compensait en détermination farouche et en vivacité.

« Que le combat commence ! »

Le combat fut d’une rapidité et d’une intensité telles, que l’assistance en resta muette d’effroi. Le fils de Réa fit un pas en avant, s’exposant à son adversaire qui lui décocha un coup circulaire, le frappant sur le haut du crâne ; le bout du bâton ripa et déchira le cuir chevelu, faisant couler le sang à gros bouillon ; un bout de chair à vif pendait même légèrement sur le front de l’initié.

Fallait il être plein de hargne pour porter pareil coup, mais les mauvaises gens finissent toujours par croiser la route d’homins bien pire qu’eux, et en ce jour apprennent leur leçon.

Konshu ne cilla pas, un œil aveuglé par le sang qui coulait sur son visage ; il abandonna son arme et s’empara à bras le corps de son adversaire, les pieds fermement ancrés dans le sol, il pivota et projeta Dimak contre l’obélisque de noir métal.
Dimak fut sonné par le choc, lâchant son arme ; et contemplant le visage tremblant de fureur du fils de Réa, sut qu’il avait en face de lui un animal. Eut-il mendié pour son salut, Konshu ne le lui aurait pas accordé.

Le jeune chasseur Fyros saisit son adversaire chancelant par les oreilles et lui cogna le crâne contre l’obélisque, une fois, puis deux, encore et encore ; il ne s’arrêta que lorsque le corps, amas de chair tuméfiée, entre ses mains, cessa de bouger.
Dimak glissa au sol, il devait avoir le crâne dur, car il avait survécu au traitement cruel ; mais pas sans que Konshu ne lui ait fait sauter un œil.

Le déchaînement de violence n’avait soulevé nul cri, Réa et la famille de Dimak étaient déjà en train de prendre soin du blessé ; et la foule silencieuse regardait incrédule le chasseur encore debout… Konshu contempla ses mains couvertes de sang, crispées et pareilles à des serres ; le regard de sa mère était chargé d’une certaine déception, puis il croisa celui en pleurs d’Aesyr, la fille aînée de Dimak… et reconnut la douce matière dont était tissé son gilet.

La plupart des querelles peuvent être vidées par une entente en bonne intelligence, mais le sang appelle invariablement le sang ; Konshu passa son premier repos d’homin dans une couche vide à méditer cette leçon. Le chasseur sans épouse, déjà au sanctuaire, on disait là que c’était un présage funeste ; et que si Dimak avait de l’honneur, il ne manquerait pas de se venger.

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La présence n’avait nul besoin de lumière pour être perceptible, malgré le halo de douleur sourde qui pulsait de son crâne recousu, Konshu devinait la silhouette dressée à son chevet.

« J’pouvais pas savoir que vous aviez bricolé un truc dans vot’ coin avec Dimak. »

Qu’y avait-il de pire, d’avoir mal ou bien de se sentir coupable et stupide ?

« Tu aurai mieux fait de tuer Dimak, il n’y aura plus de paix entre vous à présent ; vous devrez descendre dans les entrailles d’Atys, et un seul d’entre vous remontera. Si c’est toi, tu prendra Aesyr pour en faire ce que bon te semble ; si c’est Dimak, je serai bannie et il prendra la tête du sanctuaire. Tu peux l’avoir surpris par ta vigueur, mais en bas, il a bien plus d’expérience que toi… Une chance qu’il soit plus grièvement blessé ; tu dois à présent terminer ce que tu as commencé, mon fils. »

Et Réa disparut dans le noir, sans même allumer pour échanger un autre regard avec son fils.

Deux récoltes passèrent, et l’assemblée fut convoquée dans le tronc du sanctuaire pour que justice soit rendue ; la justice Fyros avait quelque chose d’expéditif, mais celle de Noir Métal était encore plus abrupte. Lorsque les deux parties se présentèrent, Dimak avait déjà revêtu son armure, allant jusqu’à sceller son casque. Le doyen s’avança entre lui et Konshu, suivi par deux anciens portant des calices d’ambre.

« Chasseurs ! Pour vider la querelle qui vous oppose, videz le calice jusqu’à la lie. »

Dimak se précipita d’un geste vif, et saisit le calice pour le porter sous le respirateur de sa Kostom, renversant la tête il fit couler le liquide clair et jeta le récipient vide au sol… Un petit instant passa, et le guerrier chancela, faisant un pas de côté, puis il s’effondra, inanimé. Konshu avala le sédatif à son tour, se demandant s’il se réveillerait jamais.

Les chasseurs attachèrent chacun des deux homins à une solide pique pour les transporter ; puis la troupe descendit au pied du sanctuaire et disparut en suivant une racine qui plongeait, dans les profondeurs insondables du monde.

Lorsque la conscience vînt toquer au crâne de Konshu le chasseur, il sentit tout d’abord la douleur qui revenait, lancinante mais assourdie ; la plaie cicatrisait bien et les onguents avaient empêché le début d’une infection… Il pouvait à peine imaginer le calvaire qu’endurait Dimak, si bien que mettre un terme à sa vie pourrait être considéré comme un geste de pitié.

Il faisait sombre, mais pas entièrement noir ; dans la distance, du lichen lumineux projetait dans les entrailles d’Atys une lueur blafarde… A une cinquantaine de mètres, quelque chose bougea ; le bruit des plaques de chitine glissant les unes contre les autres était léger, la forme trop petite pour être celle d’un Kitin. Konshu tira son couteau et se dressa péniblement sur ses pieds ; son sens de l’équilibre était précaire et la nausée menaçait de l’envoyer rouler, plié en deux sur le sol humide par la bile brûlante qui remontait son œsophage.

Il fit un pas, puis un autre ; affermit la prise sur le manche de son coutelas… Imaginant le planter dans le corps d’un autre homin, imaginant le flot tiède et carmin de la sève qui ruissellerait… Imaginant cet œil unique rivé aux siens, qui l’implorerait, l’accuserait… Imaginant le poids du meurtre sur ses épaules pour le reste de sa minable existence. Et il chuta à genoux, pour vomir tout le contenu de ses tripes.

Dimak s’était dressé, appuyé sur la hampe de sa pique ; il n’avait pas l’air bien à son aise non plus, au bout d’un instant, Konshu redressa la tête et ils se toisèrent longuement… Lui avec son casque sans expression, et le jeune chasseur avec une face livide.
Dimak fit quelques pas, puis s’appuya, le flanc contre une racine ; maniant sa pique de deux bras tremblants, il darda mollement le corps de Konshu, n’arrivant qu’à le faire tomber sur le sol, où il resta couché, haletant d’épuisement. La deuxième fois, qu’il s’y essaya, Konshu saisit le bout de la pique et tira lentement, Dimak finit par lâcher l’arme et glissa le dos contre la racine, aussi épuisé que son adversaire. Ils étaient pitoyables.

« Faut en finir, Dimak. »

Konshu récupéra son couteau sur le sol, et avança à quatre pattes pour rejoindre l’autre chasseur ; alors, le regardant, il leva la lame… Mais quelque chose n’allait pas, quelque chose dans les yeux de Dimak.

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Cela faisait bientôt un cycle que les chasseurs avaient déposé Konshu et Dimak dans la fosse aux Torbaks, Réa savait toute l’importance du visage qu’elle montrait au peuple de Noir Métal ; aussi, elle était restée dans le hall du sanctuaire, à attendre. Elle se montrait forte et sereine, un des anciens vînt la prévenir.

« Réa, Dimak est là, il veut te parler. »

Un soupir, c’est tout ce que Réa se permit à la nouvelle de la mort de son fils.

« Qu’il s’avance. »

Dimak était pâle, le bandage tenait la feuille cataplasme contre son œil mort ; à voir la première expression de son visage, Réa se dit que beaucoup de monde le jugeait mal, car il n’était que souffrance et inquiétude… Il était père, et devait donc savoir ce que ressentait la chasseresse en face de lui à ce moment.

« Tu as vaincu Dimak, le droit est de ton côté. »

Fébrile, Dimak secoua la tête et s’écroula dans un siège.

« Ma vie n’a plus de sens Réa, plus à présent que ton fils m’a tout pris ! »

De la triste résignation, Réa bondit sur ses pieds, tiraillée entre l’espoir et l’inquiétude.

« Parle sans attendre, qu’est-ce que ça signifie ? »

Et Dimak lui conta alors toute l'histoire...

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Konshu frappa, tranchant la sangle jugulaire de la Kostom, puis il arracha le heaume de son adversaire, confirmant ce qu’il suspectait et remerciant Ma-Duk pour avoir arrêté sa main à l’ultime instant.

« Aesyr, mais qu’est-ce tu fiches là ? Dragonnerie, j’aurai bien pu t’peler comme un Yubo ! »

La jeune Fyros gémit en pleurant, et Konshu sentit son couteau lui rentrer sous les côtes ; il serra les dents sous la douleur, secoua la tête d’un air furibond alors que la fille de Dimak semblait horrifiée par son propre geste ; puis lui décocha un revers bien senti de son gantelet, la plongeant derechef dans l’inconscience.

« C’pourrait être pire, j’pourrais t’avoir épousée. »

Le chasseur retira la lame de son abdomen en soufflant pour ne pas crier, puis il se laissa un moment pour réaliser toute l’étendue de la panade dans laquelle il s’était fiché… Il saignait, et il devait remonter jusqu’au sanctuaire avec un poids mort sur les épaules ; pour sa veine, il s’était entraîné exactement dans l’optique de cette éventualité. Le fyros regarda vers la lueur distante et les enchevêtrements de racines au dessus de sa tête.

« Une p’tite intervention divine s’rait pas d’refus. »

Le silence et l’obscurité ne dégénèrent pas répondre à Konshu ; mais comme le disaient les proverbes populaires : la partie d epoker des Kamis et la course de vaisseaux Karavan n’étaient sans doute pas encore terminées… Les homins allaient donc devoir s’occuper d’eux-mêmes, pour cette fois.

Le Fyros arracha de la mousse qu'il macha avant de la déposer dans une feuille, puis il la plaqua contre la blessure et fit plusieures fois le tour de son torse avec de la cordelette de chanvre... Ca devrait tenir. Remettant sa protection souple, il prit Aesyr en travers de ses épaules et attaqua la remontée.

Arrivé en haut de la première racine, il se retourna sur le peu de chemin qui lui avait coûté un effort sur-hominien, et se surprit à regarder le visage assoupir de la fille de Dimak ; passant ses gros doigts pour chasser les cheveux qui tombaient sur son front, il éprouva un soudain malaise... puis souriant pour lui même, Konshu reprit son ascension.

« Si on s'en sort, j'te tue pour de bon. »

Créé le dimanche 3 juin 2007 à 1h19 par Guinch & mis à jour le mercredi 20 mars 2013 à 14h06