Rommor Ep41

La réunion avait été longue, organiser le déploiement d’une escadre tenait de l’exploit, le nombre de tracasseries administratives, logistiques et la gestion du personnel auraient rendu fou un marchand Toedarien.

Mais dans les grandes lignes, les capitaines de la cinquante septième escadre de croiseurs lourds étaient confiants dans leur capacité d’appareiller prêts au combat à la date décidée par l’amirauté.

« Vous avez bien saisi l’image d’ensemble, ce n’est guère excitant mais avec la majorité de la flotte dispersée dans les régions éloignées de la bordure extérieure, il ne reste que les unités de réserve ou sorties de réfection pour assurer la supériorité spatiale dans l’espace impérial. Nous sommes donc temporairement détachées auprès du QG sectoriel de Corellia pour soulager Corsec du contrôle de l’espace profond. »

Le premier maître Porter resservit en café les officiers assemblés autour de la table, Rommor lui fit un signe du doigt et il remplit derechef le petit verre cristallin de blanche. En bout de table, le capitaine de frégate Dex Calloon allumait son cigare ; de trois ans son cadet, ce compatriote de Rommor avait la carrure impressionnante et le cheveu blond des éleveurs de bétail des grandes plaines de Chandrilla , un rire solide et une audace à toute épreuve l’avaient emmené à se distinguer au combat contre les corsaires de Dharius, la flotte à court de nouveaux talents avait donc enfin reconnu l’homme et confié un croiseur d’intervention à ses bons soins, l’ISC Conquérant.

« J’espère que la contrebande dans le secteur est florissante, j’aime assez la pêche ! »

Tous les équipages aimaient la « pêche » comme on l’appelait, car les traditions de la marine assuraient le partage des bénéfices des cargaisons saisies au sein du vaisseau responsable de la prise… C’était une bonne façon d’arrondir le solde, et cela rendait les affectations dans les systèmes à grande activité commerciale, très convoités.

« Désolé Dex, mais vous n’attraperez pas grand-chose, les gars du Rétiaire vont tout vous souffler sous le nez ! »

Le Rétiaire était l’interdicteur de l’escadre, un appareil embarquant quatre puits gravifiques pour perturber la croisière hyperspatiale, une arme aussi redoutable qu’ingénieuse, bien que gourmande en énergie ; ce qui rendait l’interdicteur vulnérable face à des adversaires lourdement armés. L’IIC Rétiaire était commandé quant à lui par le capitaine Devana Loan, une des rares femmes à avoir accédé au commandement hypercapable dans les premiers temps de la guerre civile ; c’était un officier aussi calculateur qu’impitoyable, et en cela elle incarnait les valeurs de l’ordre nouveau qui lui avaient permis d’écraser tous ses concurrents masculins pour obtenir son commandement. Rommor se méfiait un peu des visées de Loan, la concurrence entre eux existait déjà, il ne faudrait pas longtemps pour qu’elle ne tente de saper l’autorité de son supérieur plus jeune ; seule la peur la retenait encore d’agir trop ouvertement.

« Du calme, c’est une mission de routine qui nous permettra surtout de mener à bien des exercices de cohésion de l’escadre ; nous allons pousser les machines et les hommes dans leurs retranchements, je ne laisserai pas dire que la cinquante septième est une unité de réserve. Nous sommes une escadre de croiseurs lourds, destinés au combat, pas aux opérations douanières ; veillez à ce que vos équipages ne l’oublient pas. »

Bien sûr, Rommor n’était pas tout à fait honnête, il avait l’intention depuis sa nomination d’user de la cinquante septième dans le cadre du plan dont les conjurés assemblés autour du grand amiral Zaarin avaient décidé ; avec la flotte et Vador envoyés à l’autre bout de la galaxie pour débusquer les rebelles, le moment rêvé approchait pour déclencher le coup de force contre l’Empereur. Mais cette mission allait lui permettre de s’assurer que ses capitaines le suivraient dans cette action.

« Vous disposez tous de vos plannings de déploiement, les commandes de consommables ont été visées… Y a-t-il d’autres questions que vous aimeriez aborder avant la clôture de ce briefing ? »

Les capitaines des deux autres croiseurs d’intervention de l’escadre s’étaient montrés jusqu’ici bien silencieux ; Lamar Benquist, le Corellien commandant de l’ISC Chancelier, était la force tempérante de l’escadre, calme et à l’écoute comme une batterie de senseurs ; mais Vorass Dryll, l’étrange et jovial commandant de l’ISC Rédempteur, n’avait quant à lui pas la langue dans sa poche à l’accoutumée. L’homme portait avec naturel un certain embompoint et il ne cachait pas préférer les plaisirs de l’esprit à l’activité physique, bruyante et fatigante ; rinçant le fond de sa tasse de corail d’Abregado avec un trait de blanche, il jeta un regard contenu à son capitaine de pavillon.

« Capitaine Dryll, qu’est-ce qui vous chagrine ? »

Dryll sourit, comme s’il avait attendu qu’on lui demande d’entrer en scène.

« Je me demandais si vous n’étiez pas au courrant des grandes manœuvres ayant lieu ces derniers temps au large de Bastion… »

« Rien d’inhabituel, la treizième escadre de cuirassés de l’amiral Klein y débouche quelques uns de nos fringants cadets de l’académie. »

Dryll haussa les épaules.

« J’ai juste entendu une rumeur, comme quoi l’amiral Klein aimerait croiser le fer avec le capitaine qui a rendu obsolète son cours sur le combat spatial rapproché l’an dernier en éperonnant notre navire de pavillon avec un croiseur… Or nous ne connaissons pas encore le programme des manœuvres cette année, cela vous évoque t’il quelque chose capitaine Cabb ? »

Ce fut au tour de Rommor de prendre un air innocent.

« Je serai flatté d’affronter un esprit comme l’amiral Klein, mais même si j’avais eu vent d’un possible exercice entre la treizième escadre de cuirassés et notre unité, nous ne devrions pas gâcher la surprise en discutant cette option avant l’ouverture de nos ordres de mission. »

L’assemblée d’officiers défendit la position officielle de leur capitaine par quelques approbations sardoniques, mais le message était passé ; il faudrait se préparer à défendre le secteur Corellien contre une attaque simulée des cuirassés de Klein.

Rommor n’appréciait pas beaucoup Klein, promu contre-amiral l’année précédente après avoir occupé longtemps un poste d’instructeur à l’académie ; l’amirauté lui avait confié une escadre de vieux cuirassés stellaires Rendilli, ce que l’on nommait poliment des « vaisseaux d’honneur », de vieux mastodontes technologiquement dépassés que l’on laissait comme chien de garde de systèmes secondaires, leurs équipages étaient d’ailleurs souvent composés de spationautes sur leur premier déploiement, des vaisseaux école.

Klein était l’homme d’une époque révolue, un esprit étroit, trop attachés aux dogmes pour constater les récentes évolutions tactiques, encore moins tenter une innovation pour s’y adapter. Mais ses vaisseaux étaient puissants, peu enclins aux pannes… Alors que toute la cinquante septième escadre était fragile, plus mobile et agressive, elle aurait été plus à son avantage dans le rôle de l’attaquant. Rommor força son esprit à ne pas plonger dans les considérations tactiques qui avaient occupé quelques unes de ses dernières nuits, il avait encore beaucoup à faire.

« Bien, ce briefing est terminé ; je serai à bord du Protecteur jusqu’à ce soir, suite à quoi vous pourrez me joindre via le QG sectoriel de Kerren en cas d’urgence. Je vous souhaite à tous de bien profiter de ces dernières semaines avant déploiement, nous nous revoyons dans quinze jours. »

A part le regard désapprobateur du capitaine Loan, Rommor était satisfait du présent état d’esprit de son état major ; il se leva et prit le temps de ranger ses datadisques, petite astuce afin de rester disponible dans la salle au cas où un de ses officiers aurait voulu lui parler en privé. Porter débarrassait déjà la table, ce fut le capitaine Benquist qui s’assit avec désinvolture sur un bout de table, frappant sa casquette pour la déplier.

« Loan va poser un problème ; elle utilisera toute erreur faite durant les manœuvres pour essayer de vous en faire porter la responsabilité ; elle se montre déjà critique concernant votre absence pour les deux semaines à venir. »

Rommor soupira, fermant son attaché case que Porter était déjà prêt à lui enlever des mains.

« Je sais, mais je ne suis pas le seigneur Vador, je ne vais pas expulser le capitaine de frégate Loan par un sas pour s’être simplement montrée ambitieuse… Par mes ancêtres ! Si on devait en venir là, les trois quarts des gouverneurs planétaires finiraient à sucer du vide. »

Benquist lissa sa moustache et se permit un sourire en coin devant la remarque subversive de son capitaine de pavillon.

« Ecoutez Rommor, je ne suggère rien ; je dis juste qu’il faut impérativement que Loan apprenne à jouer en équipe, le vieux Klein ne nous fera pas de cadeaux, sa réputation est en jeu… S’il ne nous bat pas, il peut tirer un trait sur ses ambitions sectorielles. »

Il serait temps, plus tard, d’expliquer à Benquist que Rommor s’était assuré une suite de carrière bien plus ambitieuse que ce que pourrait lui apporter une éventuelle victoire sur Klein et ses cuirassés… Mais bien sûr, le Corellien avait raison, il fallait mettre un mors aux dents du commandant du Rétiaire pour qu’elle joue son rôle au sein de l’escadre.

« C’est à moi de m’occuper de Loan, je vais lui faire passer le message. »

Benquist ne semblait pas inquiet, il connaissait lui aussi la carrière passée de son jeune supérieur dans le renseignement.

« Je n’aimerai pas être à la place de cette pauvre Devana, le bonjour à votre famille, amusez-vous bien capitaine Cabb. »

Rommor serra la main du Corellien.

« Vous aussi Lamar, on se voit dans deux semaines. »

Rommor se dirigea vers sa navette, à ses côtés, Aves Porter ne comprenait parfois pas son capitaine ; pourquoi un officier de son rang préférait il une navette d’assaut VT-49 à une élégante et confortable Lambda ? Le monstre gris avec ses tourelles attendait, amarré à la station. Rommor avait souvent la nostalgie du Lady of Chandrila, son vieil YT-1300, mais il préférait savoir que Moira et les enfants l’utilisaient pour leurs déplacements, c’était un bon vaisseau.

« Vous serez bientôt chez vous, monsieur. »

Rommor croisa le regard concerné de son intendant, et le gratifia d’une tape amicale sur l’épaule.

« J’ai besoin d’un bon dîner Aves, nous avons encore du travail devant nous. »

Porter de répondit rien, mais il n’en pensait pas moins ; il n’appréciait pas le rythme de vie de son capitaine, un bourreau de travail sautant les repas et prenant quelques heures de sommeil à l’arrachée comme un pilote de cargo ; Rommor avait perdu du poids et la fatigue était visible sur son visage, ses seuls « pauses », il les passait à confirmer ses qualifications comme pilote de TIE avec le lieutenant colonel Durnin, une fantaisie datant de son temps passé infiltré chez les contrebandiers… Le médecin chef du Protecteur lui fournissait des stimulants que l’on donne aux pilotes de combat pour les veilles prolongées, mais il était convenu que cela devrait cesser dès que le destroyer aurait le feu vert de la construction navale pour reprendre l’espace. Le vieux premier maître était rassuré de retourner sur Naboo avec son capitaine, madame la capitaine saurait remettre bon ordre à tous ces excès… Et elle au moins, monsieur l’écoutait.

Coup de sifflet et salut au fusiller de faction dans le hangar, le commandant du Protecteur était de retour à bord ; il restait tant à faire avant le départ pour Naboo… Le travail d’un capitaine de vaisseau de guerre était bien moins glamour que l’on ne l’imaginait au premier abord, la quantité de documents à viser était écrasante ; Rommor était cependant assez chanceux pour disposer d’une équipe d’excellents officiers qui lui réduisaient d’autant la charge de travail en amont.

Kern, le vieux colonel des fusiliers, s’était attaché à Rommor avec un fanatisme digne des récits anciens du clan Cabb ; il rivalisait de dévouement même avec les austères troupes de choc, insistant pour placer en permanence un de ses hommes aux côtés de son commandant… Rommor était soulagé d’avoir un tel homme pour l’assister, car viendrait le moment où il faudrait neutraliser les troupes de choc du bord, et ce ne serait pas une mince affaire.

Durnin était un pilote incroyable, à l’aise avec tout ce qui vole ; en tant qu’officier il pouvait parfois se montrer peur enclin aux taches administratives, mais il s’était rapidement vu gratifier d’un secrétaire issu de l’intendance qui l’aidait à faire tourner sa boutique.

L’équipe de quart de la passerelle était composée de jeunes gens vifs et ingénieux, à ce sujet Rommor devait même admettre que l’enseigne Torjul avait opéré des miracles en se transformant en un navigateur d’une efficacité redoutable. Au poste tactique, le Corellien Van Demuir revenait à peine de la mise à pied sans solde que lui avait valu la mutinerie du Vigilance des années plus tôt, le capitaine de corvette travaillait d’arrache-pied pour se remettre à jour des solutions tactiques ayant vu le jour depuis. Pour compléter l’équipe, Rhava Juli, un jeune lieutenant aux origines quasi-humaines, gardait la section des communications du protecteur sur des charbons ardents… Et même si elle pouvait parfois se montrer un tantinet irrévérencieuse, son charme ténébreux et exotique, arrondissait souvent les bords avec ses supérieurs.

Le frégaton Gil Derhodes était un chirurgien que les hôpitaux militaires de Coruscant ou de Bastion se seraient arrachés ; avec ses états de service, il aurait pu briguer un poste bien plus important que celui de médecin en chef du Protecteur… Mais même s’il n’en parlait jamais, son service à bord du croiseur Glaive l’avait changé… Le grand blond pâle et maigre traînait un cynisme et une aigreur corrosive, même son commandant n’y échappait pas ; pas plus tard que la veille, lors d’une visite de routine, il avait dit à Rommor « Parfois je me demande pourquoi je perds mon temps avec un sagouin comme vous, vous vous évertuez à foutre en l’air le boulot de tout un tas de praticiens qui vous ont gardé en vie jusque là ! ».

Le commissaire politique du COMPORN à bord était insignifiant, il ne cachait pas son ambition de profiter de l’aura du commandant du Protecteur pour grimper dans la hiérarchie du parti ; Rommor le traitait courtoisement, quoi qu’en lui faisant clairement comprendre où était sa place, en l’occurrence, mieux valait qu’il se garde de contredire un des officiers du staff de commandement.

Le commandant en second du Protecteur était l’homme clé, Rommor se reposait entièrement sur lui pour mener le navire en son absence, et faire le tri des problèmes devant, ou pas, être traités par le commandant. Declan « Deck » Varlan était un noble de Coruscant, fils d’amiral ; on ne pouvait pas dire que l’humour fut sa tasse de thé, et il était un peu emprunté, mais en tant qu’officier, on ne pouvait lui faire aucun reproche, c’était la rigueur incarnée, il ferait un bon commandant.

Varlan « profitait », bien que le mot n’ait pas été le même dans sa bouche, des conseils avisés et de l’assistance du bosco du bord, l’inénarrable monsieur Matori. Le vieux pirate dans l’âme avait fini par rempiler, et réussi à toucher son bâton de maréchal grâce à une recommandation de Rommor. Matori était le circuit alternatif qu’utilisait son commandant pour régler les problèmes que la lourde machine de la bureaucratie laissait en souffrance, et il était couvert par le pacha pour « déniaiser » le XO du Protecteur.

Après avoir dîné une dernière fois en compagnie de son staff, Rommor avait mis la main aux derniers documents restant à viser, puis enfin, s’était penché sur ses malles… Que Porter avait pendant ce temps quasiment terminées.

« Laissez les cadeaux dans mon sac, je les prendrai avec moi. »

En regardant le vieil homme au visage grave s’activer sur les malles, Rommor réalisa combien l’année écoulée avait été calme, sûrement pas harmonieuse, mais très calme. Il lui arrivait de douter d’être prêt à aller jusqu’au fond des choses ; Moira et lui avaient souvent eu cette conversation, espérant l’un comme l’autre qu’ils parviendraient à se satisfaire de leur seule vie de famille, mais ils étaient aussi différents en termes d’idéologie qu’ils étaient semblables en caractère, ils ne pouvaient simplement pas rester dans leur petit coin de la galaxie alors qu’elle était à feu et à sang.

« Quelque chose ne va pas, monsieur ? »

Porter le dévisageait, absorbé par ses pensées et rompu de fatigue, il ne l’avait pas vu terminer les bagages.

« Je me demandais juste où se situe le bouton pause sur l’univers. »

« Monsieur sera bientôt chez lui, il est l’heure de gagner le hangar des navettes. »

Le VT-49 quitta la soute ventrale du Protecteur, sortit du périmètre de sécurité puis passa la barre de l’hyperespace dans un bond ; cinq minutes plus tard, hypnotisé par les vagues bleues de l’hyperespace, Rommor s’était assoupi dans son fauteuil. Aves Porter prit une couverture et la déposa sur son capitaine ; se demandant à cet instant, où, un homme à l’apparence aussi paisible pouvait bien aller chercher autant de violence et la cruelle résolution d’en faire usage ?

Créé le dimanche 19 août 2007 à 0h38 par Guinch & mis à jour le dimanche 19 août 2007 à 15h49