Rommor Ep55

La cinquante-septième escadre entrait à Bilbringi, son port d’attache ; il restait un peu moins de dix-huit heures au chrono avant la sortie des croiseurs dans l’espace normal.

 

Ces dernières semaines avaient été longues, et plus il retournait le problème dans sa tête, moins Rommor Irius Cabb arrivait à affirmer sa conviction concernant l’assassinat de l’Empereur. Il ne manquait bien sûr pas de haine à l’encontre du despote, mais le coût humain de l’opération lui semblait de plus en plus inacceptable.

 

Plus que quelques heures et ce fichu sommeil qui continuait à le fuir, Rommor enfila sa tenue d’exercice puis partit courir ; le destroyer était assez grand pour éviter de trop tourner en rond. Son parcours entraîna le commandant du Protecteur vers les capsules de survie situées au milieu du pont central ; il s’arrêta pour quelques étirements et remarqua une alarme incendie silencieuse. Ouvrant l’écoutille menant à la capsule, il trouva son chef chirurgien en train de griller un bâton de cendres.

 

_ Doc.

_ Capitaine.

_ Ces cochonneries finiront par vous tuer vous savez.

_ Oh, sûrement moins vite que vous cela dit.

 

Le toubib ne pensait pas plus à mal que sa dose de cynisme habituelle, il réalisa son faux pas et fit amende honorable, ce qui n’était pas courant pour lui.

 

_ Je ne faisais pas allusion à Calloon, Pacha.

_ Je sais Doc, je ne discute jamais avec vous sans lever mes déflecteurs de toute façon, vous êtes trop corrosif.

_ Le capitaine Calloon a été la victime du récit que le COMPORN a bien voulu faire de la bataille de Sepan, il ne pouvait pas savoir toute l’horreur cachée derrière ce mythe que des bureaucrates en mal d’inspiration ont créé.

_ Il s’est flingué parce qu’il m’a pris pour un ersatz de Vador ; nos étiquettes politiques déforment complètement la réalité. Doc, vous pensez réellement que nous sommes les méchants de l’histoire ?

_ Ce sera aux vainqueurs de faire l’histoire capitaine, mais si vous me demandez mon sentiment personnel ; je dirai que  je ne sais pas si je suis vraiment un méchant… Par contre capitaine Cabb, avec tout le respect que je vous dois, vous répondez aux critères cliniques définissant les sociopathes, et haut la main ! Dans ma carrière, j’ai eu l’occasion d’ausculter quelques gars des forces spéciales et vous êtes tous passés par le même broyeur qui rend les gens insensibles.

_ Heureusement que vous avez dit « avec tout le respect que je vous dois », sinon j’aurai pu prendre ombrage de votre remarque Doc.

_ La bonne nouvelle, c’est que vous semblez vous humaniser peu à peu ; une rémission du lavage de cerveau que les hommes en noir vous ont infligé n’est donc pas exclue.

_ J’ai toujours fait des cauchemars, c’est juste que ma position actuelle me permet d’éprouver une certaine empathie pour mes hommes ; le milieu du renseignement suit d’autres règles du jeu, c’est tout.

_ Honnêtement ? Je ne veux pas savoir.

_ Personne ne le veut. Tant que le boulot est fait, peu nous importe comment.

_ Vous êtes mon rayon de soleil capitaine, vous m’avez encore une fois rendu la foi quant au caractère sacré de notre mission.

_ De rien Doc, c’est le boulot d’un commandant.

 

Rommor ayant terminé ses assouplissements, il laissa son chirurgien chef à sa fumée et ses idées noires pour poursuivre sa course jusqu’à la salle d’exercice physique du Protecteur. Il y avait peu de monde sur place, deux soldats des troupes de choc dans leur combinaison noire, leur ressemblance encore accentuée par leurs crânes rasés ; une poignée de fusiliers s’entraînait au combat à mains nues ; et un pilote soulevait une bar à gravité ajustable.

 

Le commandant enleva sa veste puis se dirigea vers le râtelier contenant les armes d’entraînement, cherchant les Kosh’ra émoussés qu’il avait emmené avec lui. Un fusilier hardi, probablement un sous-officier, s’approcha.

 

_ Vous cherchez un sparring partner monsieur ?

_ Non, merci fusilier mais je vais m’exercer au Kosh’ra, je doute que vous ayez déjà pratiqué.

_ C’est bien cette sorte d’escrime que vous pratiquez avec le colonel ?

 

Le Kosh’ra avait été inventé par le clan Cabb pour faire des paisibles agriculteurs de Chandrila une armée de conquête ; cette lourde faucille avait des effets dévastateurs, brisant tout autant qu’elle tranchait à cause de son poids. Kern, insistant pour être l’adversaire de choix de Rommor, celui-ci avait entrepris de l’initier aux « subtilités »  du Kosh’ra ; et le vieux guerrier s’était révélé un élève très doué… Mais ce que Rommor appréciait le plus, c’était que possédant un grade équivalent au sien, Kern ne se sentait pas tenu de retenir ses coups.

 

_ Moi je connais monsieur !

 

Un autre des fusiliers, dont le groupe s’était approché à la suite de son sous-officier, s’était avancé avec enthousiasme. Rommor soupesait l’arme dans sa main, détaillant le jeune soldat de la tête aux pieds.

 

_ Chandrilan ?

 

Le môme s’illumina.

 

_ De Brasierville, domaine Cabb ; promotion 26 de l’école d’application de l’infanterie, volontaire pour les bérets rouges monsieur.  On ne se rend pas !

 

Le cri de guerre n’était sûrement pas étranger à Rommor puisqu’il s’agissait de celui du clan Cabb ; il sembla faire réagir plusieurs des fusiliers, et surpris dans trop le montrer, leur commandant les questionna.

 

_ Il y en a d’autres parmi vous ?

 

Sur les sept soldats spatiaux, quatre firent un pas en avant ; leur aîné prenant la parole.

 

_ Tous du domaine monseigneur, première compagnie des bérets rouges de la flotte !

 

Rommor avait bien remarqué que l’habituel béret noir des fusiliers avait été remplacé par le rouge parmi les gardes affectés à sa sécurité personnelle, mais il ne se doutait pas que Kern avait monté à son insu une sorte de garde prétorienne. C’était à la fois flatteur qu’il y ait des hommes volontaires pour se mettre à son service, mais c’était aussi assez gênant vis à vis du reste des fusiliers à bord.

 

_ L’appellation correcte est capitaine, ou monsieur ; je passerai cette insulte faite au Lord Protecteur, pour cette fois.

 

Il fallait réfréner un peu  l’enthousiasme de ces bérets rouges ; Rommor ne voulait pas d’un autre cas Calloon, et encore moins être paré du titre seigneurial avant l’heure, car cela aurait été comme proclamer qu’il souhaitait la mort de son père. De leur côté, les fusiliers réagirent à la remontrance en adoptant un garde-à-vous roide, typique de la rigueur des fusiliers de la flotte.

 

_ Mes excuses monsieur, cela ne se reproduira pas ! Le caporal pensait que détenant l’armure du clan, le capitaine assumait la charge du domaine.

 

Et voilà, il recommençait à se distinguer du reste de ses collègues fusiliers en abordant publiquement les coutumes du clan Cabb.

 

_ Pour votre gouverne caporal, les seules règles en vigueur à bord de mes navires sont celles de la flotte de sa majesté. J’attends des bérets rouges qu’ils soient des fusiliers exemplaires, pas moins ! Ou bien m’aurait on trompé quand à leur réputation ?

_ Assurément pas monsieur, on ne se rend pas !

 

La pique avait ranimé l’esprit de corps des fusiliers, mais Kern avait eu le nez creux en rassemblant des hommes de confiance ; il faudrait qu’ils aient une discussion à ce sujet. Rommor jeta un Kosh’ra d’entraînement au plus jeune béret rouge qui s’était présenté en premier et ils allèrent s’entraîner deux heures durant ; le commandant fit attention à n’utiliser que sa main droite afin de ne pas bénéficier de la vitesse supérieure de ses nerfs artificiels.

 

Une fois la séance terminée, Rommor fila vers ses quartiers en se sentant soulagé, la fatigue physique lui apportait la promesse de quelques heures de sommeil bien méritées.

Créé le lundi 10 septembre 2007 à 19h15 par Guinch & mis à jour le mercredi 20 mars 2013 à 14h06